Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/25

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chose, mais capitale. La raison discursive, le raisonnement, tout infaillible qu’il soit, est un procédé aveugle. Il explique le fait par sa loi, mais il n’explique pas cette loi. Il établit la conséquence par les principes ; mais les principes eux-mêmes, il les accepte sans les établir. Il fait de nos pensées une chaîne d’une régularité parfaite, mais il n’en peut fixer le premier anneau.

Il y a donc au-dessus du raisonnement une faculté supérieure, c’est la raison, dont l’objet propre est l’Être en soi et par soi.

Spinoza éclaircit ces quatre modes de perception par un ingénieux exemple : Trois nombres, dit-il[1], sont donnés ; on en cherche un quatrième qui soit au troisième comme le second est au premier. Nos marchands disent qu’ils savent fort bien ce qu’il y a à faire pour trouver ce quatrième nombre ; ils n’ont pas, en effet, encore oublié l’opération qu’ils ont apprise de leurs maîtres, laquelle est, bien entendu, tout empirique et sans démonstration. D’autres tirent de quelques cas particuliers empruntés à l’expérience un axiome général. Ils prennent un exemple comme celui-ci : 2 : 4 : : 3 : 6 ; ils trouvent par l’expérience que, le second de ces nombres étant multiplié par le troisième, le produit divisé par le premier donne 6 pour quotient et ils concluent de là qu’une opération semblable est bonne pour trouver tout quatrième nombre proportionnel. Quant aux mathématiciens, ils savent, par la démonstration de la XIXe Proposition du livre vii d’Euclide, quels nombres sont proportionnels entre eux ; ils savent, par la nature même et par les propriétés de la proportion, que le produit du

  1. De la Réforme de l’Entendement, tome III, page 282.