Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/28

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que le philosophe doit mettre en usage. Le raisonnement donne, il est vrai, la certitude, mais la certitude ne suffit pas au philosophe, il lui faut aussi la lumière.

Ce mépris du raisonnement paraît au premier abord fort étrange, et l’on ne peut concevoir que Spinoza, cet habile et puissant raisonneur, ait voulu interdire aux philosophes un instrument qu’il manie sans cesse et qui est entre ses mains d’une inépuisable fécondité.

Mais il faut bien entendre sa pensée.

Spinoza distingue deux manières de raisonner : ou bien l’on enchaîne les unes aux autres une suite de pensées à l’aide de certains principes qu’on accepte sans les examiner et sans les comprendre, et c’est ce raisonnement aveugle que Spinoza exclut de la philosophie ; ou bien l’on part d’un principe clairement et immédiatement aperçu en lui-même, et de l’idée adéquate de ce principe on va à l’idée adéquate de ses effets, de ses conséquences, et voilà le raisonnement philosophique, où tout est intelligible et clair, où les images des sens et les croyances aveugles n’ont aucune place. Élevé à cette hauteur, le raisonnement se confond presque avec l’intuition immédiate ; il est le plus puissant levier de l’esprit humain ; il n’y a au-dessus que l’intuition intellectuelle dans son degré supérieur et unique de pureté et d’énergie, qui met face à face la pensée et son plus sublime objet, les unissant et, pour ainsi dire, les unifiant l’un avec l’autre.

La loi de la pensée philosophique, c’est donc de fonder la science sur des idées claires et distinctes, et de ne faire usage d’aucun autre procédé que de l’intuition immédiate et du raisonnement appuyé sur elle. Or, le premier objet de l’intuition immédiate, c’est l’Être parfait. Spinoza conclut donc finalement que « la méthode par-