Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/34

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posée lui-même avec un bon sens et une profondeur admirables.

L’origine du doute, c’est l’erreur, c’est la contradiction où tombe la raison quand elle ne garde pas l’ordre des idées. On commence par douter des choses qu’on avait admises ; puis, de proche en proche, on en vient à douter de tout, à douter de la raison même.

Mais assigner la cause du doute, c’est donner le moyen de la détruire. L’erreur n’est rien de positif et d’absolu ; elle naît de la confusion de nos idées. « Celui qui commencera par où il faut commencer, sans jamais passer un anneau de la chaîne qui unit les choses, n’aura jamais que des idées claires et distinctes, et il ne doutera jamais[1]. »

Je dis que cette solution est très-profonde. Quelle est, en effet, la question entre le scepticisme et le dogmatisme ? c’est, dira un sceptique, de savoir si la raison humaine est légitime ou non, problème insoluble pour le dogmatisme. Nullement ; car un sceptique n’est pas un sophiste ; il ne doute pas sans dire pourquoi. Or, qu’est-ce qui conduit un esprit sérieux à douter de la légitimité de la raison ? c’est qu’il la croit sujette à des contradictions nécessaires. Mais s’il est prouvé que la contradiction a sa source, non dans les idées, mais dans le défaut d’ordre dans les idées, en d’autres termes, non dans la raison même, mais dans l’homme qui s’en sert mal, je demande si la racine du doute n’est pas détruite et le problème résolu ? Quiconque a des idées claires et distinctes, formant une suite exacte et parfaite où la contradiction n’a pas de place, et cherche quelque chose

  1. De la Réforme dt l’Entendement, tome III, page 312 sqq.