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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

mité et l’excellence de leur génie que leur force d’âme et leur piété.

Adam, le premier à qui Dieu se soit révélé, ignorait son omniprésence, son omniscience ; car il voulut se cacher à Dieu, et il s’efforça d’excuser son péché devant Dieu comme il aurait fait devant un homme. Aussi Dieu se révéla à lui suivant la portée de son intelligence, comme s’il n’eût pas existé partout et s’il eût ignoré le lieu où se cachait Adam et son péché. Adam entendit en effet ou crut entendre Dieu qui se promenait dans le jardin et le cherchait en l’appelant à haute voix et, témoin de sa honte, lui demandait s’il n’aurait pas mangé du fruit défendu. Tout ce qu’Adam connaissait des attributs de Dieu, c’était donc que Dieu est l’artisan de toutes choses. Dieu se mit aussi à la portée de Kaïn en se révélant à lui, comme s’il ignorait les actions des hommes ; et Kaïn, en effet, n’avait pas besoin, pour se repentir de son péché, d’une connaissance de Dieu plus sublime. Dieu se révéla aussi à Laban comme Dieu d’Abraham, parce que Laban croyait que chaque nation avait son Dieu particulier. On verra aussi dans la Genèse (chap. xxxi, vers. 29) qu’Abraham ignorait que Dieu est partout et que sa prescience s’étend à toutes choses ; car dès qu’il entendit la sentence portée contre les Sodomites, il pria Dieu, avant de l’exécuter, de rechercher s’ils étaient tous dignes de ce châtiment (voyez Genèse, chap. xxxi, vers. 29) : « Peut-être se rencontrera-t-il cinquante justes dans cette ville. » Et Dieu se révéla à lui tel qu’il en était connu ; car il parla ainsi, dans l’imagination d’Abraham : « Je descendrai maintenant pour voir si leur conduite est d’accord avec la plainte qui est venue jusqu’à moi ; et s’il n’en est pas ainsi, je le saurai. » Le témoignage de Dieu sur Abraham ne parle que de son obéissance, de son zèle à encourager ses serviteurs à la justice et au bien ; et il n’y est pas dit qu’Abraham eut des pensées plus sublimes sur Dieu que le reste des hommes (voyez Genèse, chap. xviii, vers. 19). Moïse ne comprit pas non plus très-bien que