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TRAITÉ

langues ; à l’impératif et à l’infinitif, ils n’ont d’autres temps que le présent ; au subjonctif enfin, ils n’en ont point du tout. Or, bien qu’il soit aisé de réparer ce défaut de temps et de modes selon des règles certaines tirées des principes de la langue, et que l’élégance même y trouve son compte, il n’en est pas moins vrai que les plus anciens écrivains ont négligé totalement ces règles, mettant sans distinction le futur pour le présent et pour le prétérit, et réciproquement le prétérit pour le futur, se servant de l’indicatif pour l’impératif et pour le subjonctif ; donnant enfin naissance à une foule d’amphibologies.

Outre ces trois causes d’ambiguïté, j’en dois citer deux autres qui sont encore de plus grande conséquence : la première, c’est que l’hébreu n’a pas de voyelles ; la seconde, c’est qu’il ne fournit aucun signe pour séparer les phrases et prononcer les mots. Je sais bien qu’on a remplacé tout cela dans la Bible par des points et des accents ; mais nous ne pouvons nous y fier, sachant bien qu’ils ont été imaginés et introduits par des hommes d’un temps postérieur, dont l’autorité ne doit avoir aucune valeur à nos yeux. Quant aux anciens Hébreux, il est parfaitement certain, par une foule de témoignages, qu’ils écrivaient sans points (je veux dire sans voyelles et sans accents), de sorte que les interprètes venus plus tard les ont ajoutés au texte suivant la manière dont ils l’entendaient : d’où il suit qu’il n’y faut voir autre chose que leurs sentiments particuliers, et ne pas accorder à ces signes arbitraires plus d’autorité qu’à une explication proprement dite. C’est faute de savoir toutes ces circonstances que plusieurs ne peuvent comprendre pourquoi l’auteur de l’Épître aux Hébreux est parfaitement excusable d’avoir (au chap. xi, vers. 21) interprété le texte du chap. xlvii, vers. 31, de la Genèse tout autrement qu’il ne faudrait faire en suivant le texte ponctué. Je demande en effet si l’apôtre avait à s’adresser aux ponctuistes pour entendre l’Écriture. C’est bien plutôt ces ponctuistes eux-mêmes qu’il