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XXVI
la vie de spinoza.

charpentier qui bâtit une maison, au lieu qu’une cause immanente agit intérieurement et s’arrête en elle-même sans en sortir aucunement. Ainsi, quand notre âme pense ou désire quelque chose, elle est et s’arrête dans cette pensée ou désir sans en sortir, et elle en est la cause immanente. C’est de cette manière que le Dieu de Spinoza est la cause de cet univers, où il est, et n’est point au delà. Mais comme l’univers a des bornes, il s’ensuivrait que Dieu est un être borné et fini. Et quoiqu’il dise de Dieu qu’il est infini et qu’il renferme une infinité de propriétés, il faut bien qu’il se joue des termes d’éternel et d’infini, puisque par ces mots il ne peut entendre un être qui a subsisté par soi-même avant tous les temps et avant qu’aucun autre être eût été créé ; mais il appelle infini ce à quoi l’entendement humain ne peut trouver de fin ni de bornes ; car les productions de Dieu, selon lui, sont en si grand nombre que l’homme, avec toute la force de son esprit, n’y en saurait concevoir. Elles sont d’ailleurs si bien affermies, si solides et si bien liées l’une à l’autre, qu’elles dureront éternellement.

Il assure pourtant, dans sa vingt et unième lettre, que ceux-là avaient tort qui lui imputaient de dire que Dieu et la matière où Dieu agit ne sont qu’une seule et même chose. Mais enfin il ne peut s’empêcher d’avouer que la matière est quelque chose d’essentiel à la Divinité, qui n’est et n’agit que dans la matière, c’est-à-dire dans l’univers. Le dieu de Spinoza n’est donc autre chose que la nature, infinie à la vérité, mais pourtant corporelle et matérielle, prise en général et avec toutes ses modifications. Car il suppose qu’il y a en Dieu deux propriétés éternelles, cogitatio et extensio, la pensée et l’étendue. Par la première de ces propriétés, Dieu est contenu dans l’univers ; par la seconde, il est l’univers lui-même : les deux jointes ensemble font ce qu’il appelle Dieu.

Autant que j’ai pu comprendre les sentiments de Spinoza, voici sur quoi roule la dispute qu’il y a entre nous qui sommes chrétiens et lui, savoir : si le Dieu véritable est une substance éternelle, différente et distincte de l’univers et de toute la nature, et si, par un acte de volonté entièrement libre, il a tiré du néant le monde et toutes les créatures, ou si l’univers et tous les êtres qu’il renferme appartiennent essentiellement à la nature de Dieu, considéré comme une substance dont la pensée et l’étendue sont