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Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/3

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II
LA VIE DE SPINOZA

SES PREMIÈRES ÉTUDES.

Spinoza fit voir dès son enfance, et encore mieux ensuite dans sa jeunesse, que la nature ne lui avait pas été ingrate. On reconnut aisément qu’il avait l’imagination vive et l’esprit extrêmement prompt et pénétrant.

Comme il avait beaucoup d’envie de bien apprendre la langue latine, on lui donna d’abord pour maître un Allemand. Pour se perfectionner ensuite dans cette langue, il se servit du fameux François Van den Ende, qui la montrait alors à Amsterdam, et y exerçait en même temps la profession de médecin. Cet homme enseignait avec beaucoup de succès et de réputation, de sorte que les plus riches marchands de la ville lui confièrent l’instruction de leurs enfants avant qu’on eût reconnu qu’il montrait à ses disciples autre chose que le latin ; car on découvrit enfin qu’il répandait dans l’esprit de ces jeunes gens les premières semences de l’athéisme. C’est un fait que je pourrais prouver, s’il en était besoin, par le témoignage de plusieurs gens d’honneur qui vivent encore, et dont quelques-uns ont rempli la charge d’ancien dans notre église d’Amsterdam, et en ont fait les fonctions avec édification. Ces bonnes âmes ne se lassent point de bénir la mémoire de leurs parents qui les ont arrachés encore à temps de l’école de Satan en les tirant des mains d’un maître si pernicieux et si impie.

Van den Ende avait une fille unique qui possédait elle-même la langue latine si parfaitement, aussi bien que la musique, qu’elle était capable d’instruire les écoliers de son père en son absence, et de leur donner leçon. Comme Spinoza avait occasion de la voir et de lui parler très-souvent, il en devint amoureux, et il a souvent avoué qu’il avait eu dessein de l’épouser. Ce n’est pas qu’elle fût des plus belles ni des mieux faites ; mais elle avait beaucoup d’esprit, de capacité et d’enjouement, ce qui avait touché le cœur de Spinoza, aussi bien que d’un autre disciple de Van den Ende, nommé Kerkering, natif de Hambourg. Celui-ci s’aperçut bientôt qu’il avait un rival, et ne manqua pas d’en devenir jaloux ; ce qui l’obligea à redoubler ses soins et ses assiduités auprès de sa maîtresse. Il le fit avec succès, quoique le présent qu’il avait fait au-