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Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/343

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que Dieu ordonnerait (sans désigner aucun médiateur), n’en résulte-t-il pas qu’après ce pacte ils demeurèrent tous égaux comme auparavant, que chacun eut également le droit de consulter Dieu, d’accepter et d’interpréter les lois ; et en général, que toute l’administration de l’État fut également dans les mains de tous ? Et c’est pour cela que la première fois ils allèrent tous ensemble consulter Dieu, pour apprendre de lui sa volonté ; mais telle fut leur frayeur lorsqu’ils se prosternèrent devant Dieu, tel fut leur étonnement, lorsqu’ils l’entendirent parler, qu’ils se crurent tous à leur dernière heure. Éperdus, saisis de crainte, ils vont de nouveau trouver Moïse : « Nous avons entendu parler Dieu au milieu des flammes, et nous ne voulons pas mourir ; point de doute que ces flammes ne nous dévorent : si nous entendons une seconde fois la voix de Dieu, nous n’échapperons pas à la mort. Va donc, écoute la parole de Dieu, et c’est toi (et non plus Dieu) qui nous parleras. Tout ce que Dieu t’aura dit, nous l’accepterons, nous l’exécuterons. » Par ces dispositions, évidemment ils abolirent leur premier pacte, et abandonnèrent complètement à Moïse le droit qu’ils avaient de consulter Dieu par eux-mêmes et d’interpréter ses ordres. Car ce n’était plus, comme auparavant, aux ordres dictés par Dieu au peuple, mais aux ordres dictés par Dieu à Moïse, qu’ils s’engageaient à obéir (voyez le Deutéronome, chap. V, après le Décalogue, et chap. XVIII, vers. 15, 16). C’est ainsi que Moïse demeura seul le dispensateur et l’interprète des lois divines, par conséquent le juge souverain, ne pouvant être jugé lui-même par personne, représentant lui seul Dieu parmi les Hébreux, et possédant à ce titre la majesté suprême. À lui seul, en effet, appartenait le droit de consulter Dieu, de transmettre les ordres au peuple et d’en exiger l’exécution ; à lui seul, dis-je : car si quelqu’un, du vivant de Moïse, voulait annoncer quelque chose au peuple au nom de Dieu, fût-il véritablement prophète, il n’en était pas moins déclaré coupable d’usurper le droit suprême (voyez les Nombre, chap. XXII,