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Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/388

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soumis aux lois des Hébreux), bien qu’ils ne soient pas assujettis d’ailleurs au célibat, n’en possèdent pas moins d’une manière absolue le droit divin ; j’ajoute qu’ils le posséderont toujours, pourvu qu’ils ne laissent pas les dogmes de la religion s’accroître démesurément et se confondre avec les sciences.


CHAPITRE XX.


ON ÉTABLIT QUE DANS UN ÉTAT LIBRE CHACUN A LE DROIT DE PENSER CE QU’IL VEUT ET DE DIRE CE QU’IL PENSE.

S’il était aussi facile de commander à l’esprit qu’à la langue, tout pouvoir régnerait en sécurité et nul gouvernement n’appellerait la violence à son secours. Chaque citoyen, en effet, puiserait ses inspirations dans l’esprit du souverain, et ne jugerait que par les décrets du gouvernement du vrai et du faux, du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Mais il n’est pas possible, comme nous l’avons montré au commencement du chapitre XVII, qu’un homme abdique sa pensée et la soumette absolument à celle d’autrui. Personne ne peut faire ainsi l’abandon de ses droits naturels et de la faculté qui est en lui de raisonner librement et de juger librement des choses ; personne n’y peut être contraint. Voilà donc pourquoi on considère comme violent un gouvernement qui étend son autorité jusque sur les esprits ; voilà pourquoi le souverain semble commettre une injustice envers les sujets et usurper leurs droits, lorsqu’il prétend prescrire à chacun ce qu’il doit accepter comme vrai et rejeter comme faux, et les croyances qu’il doit avoir pour satisfaire au culte de Dieu. C’est que toutes ces choses sont le droit propre de chacun, droit qu’aucun citoyen, le voulût-il, ne saurait aliéner. J’en conviens, il y a mille manières de prévenir les jugements des hommes et de faire en sorte que, tout en ne relevant pas directement de la volonté d’autrui, ils s’abandonnent