Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/420

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Or, tandis qu’ils s’efforcent de prévenir la malice humaine à l’aide des moyens artificiels depuis longtemps indiqués par l’expérience et dont se servent d’ordinaire les hommes que la crainte gouverne plutôt que la raison, ils ont l’air de rompre en visière à la religion, surtout aux théologiens, lesquels s’imaginent que les souverains doivent traiter les affaires publiques selon les mêmes règles de piété qui obligent un particulier. Mais cela n’empêche pas que cette sorte d’écrivains n’aient mieux réussi que les philosophes à traiter les matières politiques, et la raison en est simple, c’est qu’ayant pris l’expérience pour guide, ils n’ont rien dit qui fût trop éloigné de la pratique.

3. Et certes, quant à moi, je suis très-convaincu que l’expérience a déjà indiqué toutes les formes d’État capables de faire vivre les hommes en bon accord et tous les moyens propres à diriger la multitude ou à la contenir en certaines limites ; aussi je ne regarde pas comme possible de trouver par la force de la pensée une combinaison politique, j’entends quelque chose d’applicable, qui n’ait déjà été trouvée et expérimentée. Les hommes, en effet, sont ainsi organisés qu’ils ne peuvent vivre en dehors d’un certain droit commun ; or la question des droits communs et des affaires publiques a été traitée par des hommes très-rusés, ou très-habiles, comme on voudra, mais à coup sûr très-pénétrants, et par conséquent il est à peine croyable qu’on puisse concevoir quelque combinaison vraiment pratique et utile qui n’ait pas été déjà suggérée par l’occasion ou le hasard, et qui soit restée inconnue à des hommes attentifs aux affaires publiques et à leur propre sécurité.

4. Lors donc que j’ai résolu d’appliquer mon esprit à la politique, mon dessein n’a pas été de rien découvrir de nouveau ni d’extraordinaire, mais seulement de démontrer par des raisons certaines et indubitables ou, en d’autres termes, de déduire de la condition même du genre humain un certain nombre de principes parfaite-