Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/449

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qu’il ait la paix. Car la paix, ce n’est pas l’absence de guerre ; c’est la vertu qui naît de la vigueur de l’âme, et la véritable obéissance (par l’article 19 du chapitre II) est une volonté constante d’exécuter tout ce qui doit être fait d’après la loi commune de l’État. Aussi bien une société où la paix n’a d’autre base que l’inertie des sujets, lesquels se laissent conduire comme un troupeau et ne sont exercés qu’à l’esclavage, ce n’est plus une société, c’est une solitude.

5. Lors donc que je dis que le meilleur gouvernement est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde, j’entends par là une vie humaine, une vie qui ne se définit point par la circulation du sang et autres fonctions communes à tous les animaux, mais avant tout par la véritable vie de l’âme, par la raison et la vertu.

6. Mais il faut remarquer qu’en parlant du gouvernement institué pour une telle fin, j’entends celui qu’une multitude libre a établi, et non celui qui a été imposé à une multitude par le droit de la guerre. Une multitude libre, en effet, est conduite par l’espérance plus que par la crainte ; une multitude subjuguée, au contraire, est conduite par la crainte plus que par l’espérance. Celle-là s’efforce de cultiver la vie, celle-ci ne cherche qu’à éviter la mort ; la première veut vivre pour elle-même, la seconde est contrainte de vivre pour le vainqueur ; c’est pourquoi nous disons de l’une qu’elle est libre et de l’autre qu’elle est esclave. Ainsi donc la fin du gouvernement, quand il tombe aux mains du vainqueur par le droit de la guerre, c’est de dominer et d’avoir des esclaves plutôt que des sujets. Et bien qu’il n’y ait entre le gouvernement institué par une multitude libre et celui qui est acquis par le droit de la guerre aucune différence essentielle, à considérer le droit de chacun d’une manière générale, cependant la fin que chacun d’eux se propose, comme nous l’avons déjà montré, et leurs moyens de conservation sont fort différents.

7. Quels sont, pour un prince animé de la seule pas-