Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/482

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28. Quant aux soldats stipendiés, on sait qu’accoutumés à la discipline militaire, endurcis au froid et aux privations, ils méprisent d’ordinaire la foule des citoyens, comme incapable de les égaler à beaucoup près dans les attaques de vigueur et en rase campagne. C’est là aux yeux de tout esprit sain une cause de ruine et de fragilité. Au contraire, tout appréciateur équitable reconnaîtra que l’État le plus ferme de tous, c’est celui qui ne peut que défendre ses possessions acquises sans convoiter les territoires étrangers, et qui dès lors s’efforce par tous les moyens d’éviter la guerre et de maintenir la paix.

29. Au surplus, j’avoue que les desseins d’un tel État peuvent difficilement être cachés. Mais tout le monde conviendra aussi avec moi qu’il vaut mieux voir les desseins honnêtes d’un gouvernement connus des ennemis, que les machinations perverses d’un tyran tramées à l’insu des citoyens. Quand les gouvernants sont en mesure d’envelopper dans le secret les affaires de l’État, c’est que le pouvoir absolu est dans leurs mains, et alors ils ne se bornent pas à tendre des embûches à l’ennemi en temps de guerre ; ils en dressent aussi aux citoyens en temps de paix. Au surplus, il est impossible de nier que le secret ne soit souvent nécessaire dans un gouvernement ; mais que l’État ne puisse subsister sans étendre le secret à tout, c’est ce que personne ne soutiendra. Confier l’État à un seul homme et en même temps garder la liberté, c’est chose évidemment impossible, et par conséquent il y a de la sottise, pour éviter un petit dommage, à s’exposer à un grand mal. Mais voilà bien l’éternelle chanson de ceux qui convoitent le pouvoir absolu : qu’il importe hautement à l’État que ses affaires se fassent dans le secret, et autres beaux discours qui, sous le voile de l’utilité publique, mènent tout droit à la servitude.

30. Enfin, bien qu’aucun État, à ma connaissance, n’ait été institué avec les conditions que je viens de dire, je pourrais cependant invoquer aussi l’expérience et établir par des faits qu’à considérer les causes qui con-