Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/493

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que ce chiffre, au lieu de décroître par degrés, s’augmente au contraire à proportion de l’accroissement de l’empire ; puis il faut faire en sorte que l’égalité se conserve, autant que possible, entre les patriciens, et aussi que l’expédition des affaires dans l’assemblée se fasse promptement ; enfin, que la puissance des patriciens ou de l’assemblée soit plus grande que celle de la multitude, sans toutefois que la multitude ait aucun dommage à en souffrir.

12. Or, pour obtenir le premier de ces résultats, une grande difficulté s’élève, et d’où vient-elle ? de l’envie. Car les hommes, nous l’avons dit, sont naturellement ennemis, de sorte que tout liés qu’ils soient par les institutions sociales, ils restent ce que la nature les a faits. Et c’est là, je pense, ce qui explique pourquoi les gouvernements démocratiques se changent en aristocraties et les aristocraties en États monarchiques. Car je me persuade aisément que la plupart des gouvernements aristocratiques ont été d’abord démocratiques. Une masse d’hommes cherche de nouvelles demeures ; elle les trouve et les cultive. Jusque-là le droit de commander est égal chez tous, nul ne donnant volontiers le pouvoir à un autre. Mais bien que chacun trouve juste d’avoir à l’égard de son voisin le même droit que son voisin a par rapport à lui, ils ne trouvent pas également juste que des étrangers, qui sont venus en grand nombre se fixer dans le pays, aient un droit égal au leur, au sein d’un État qu’ils ont fondé pour eux-mêmes avec de grandes peines et au prix de leur sang. Or, ces étrangers eux-mêmes, qui ne sont pas venus pour prendre part aux affaires de l’État, mais pour s’occuper de leurs affaires particulières, reconnaissent leur inégalité, et pensent qu’on leur accorde assez en leur permettant de pourvoir à leurs intérêts domestiques avec sécurité. Cependant la population de l’État augmente par l’affluence des étrangers, et peu à peu ceux-ci prennent les mœurs de la nation, jusqu’à ce qu’enfin on ne les dis-