Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/50

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merveilleux, qui font aujourd’hui toutes nos délices, n’occupaient pas suffisamment ce grand génie, il employait tous les jours quelques heures à préparer des verres pour les microscopes et les télescopes, en quoi il excellait, de sorte que si la mort ne l’eût point prévenu, il est à croire qu’il eût découvert les plus beaux secrets de l’optique. Il était si ardent à la recherche de la vérité que, bien qu’il eût une santé fort languissante et qui avait besoin de relâche, il en prenait néanmoins si peu, qu’il a été trois mois entiers sans sortir du logis, jusque-là qu’il a refusé de professer publiquement dans l’académie de Heidelberg, de peur que cet emploi ne le troublât dans son dessein [1].

Après avoir pris tant de peine à rectifier son entendement, il ne faut pas s’étonner si tout ce qu’il a mis au jour est d’un caractère inimitable. Avant lui l’Écriture sainte était un sanctuaire inaccessible. Tous ceux qui en avaient parlé l’avaient fait en aveugles. Lui seul en parle comme savant dans son Traité de théologie et de politique ; car il est certain que jamais homme n’a possédé si bien que lui les antiquités judaïques.

Quoiqu’il n’y ait point de blessure plus dangereuse que celle de la médisance, ni moins facile à supporter, on ne lui a jamais ouï témoigner de ressentiment contre ceux qui le déchiraient.

Plusieurs ayant tâché de décrier ce livre par des injures pleines de fiel et d’amertume, au lieu de se servir des mêmes armes pour les détruire, il se contenta d’en éclaircir les endroits auxquels ils donnaient un faux sens, de peur que leur malice n’éblouît les âmes sincères. Que si ce livre lui a suscité un torrent de persécuteurs, ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on a mal interprété les pensées des grands hommes, et que la grande réputation est plus dangereuse que la mauvaise.

Il eut l’avantage d’être connu de M. le pensionnaire de Witt, qui voulut apprendre de lui les mathématiques, et qui lui faisait souvent l’honneur de le consulter sur des matières importantes. Mais il avait si peu d’empressement pour les biens de la fortune, qu’après la mort de M. de Witt, qui lui donnait une pension de deux cents florins, ayant montré le seing de son Mécène aux héritiers qui faisaient quelques difficultés de la lui continuer, il le leur mit entre les mains avec autant de tranquillité que s’il eût eu du fonds d’ailleurs. Cette manière désintéressée les ayant fait rentrer en eux-mêmes, ils lui accordèrent avec joie ce qu’ils venaient de lui refuser ; et c’est sur quoi était fondé le meilleur de la subsistance, n’ayant hérité de son père que quelques affaires embrouillées, ou plutôt ceux des juifs avec lesquels ce bon homme avait commerce, jugeant que son fils n’était pas d’humeur de démêler leurs fourbes, l’embarrassèrent de telle manière, qu’il aima mieux leur abandonner tout, que de sacrifier son repos à une espérance incertaine.

  1. Charles-Louis, électeur palatin, lui offrit une chaire de professeur en philosophie à Heidelberg, avec une très-ample liberté de philosopher ; mais il remercia S. A. E. avec beaucoup de politesse.