Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/527

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ter sa haine, d’autant que les suffrages sont donnés avec des boules et que la sentence est prononcée au nom du conseil tout entier.

3. On m’objectera qu’à Rome aussi les tribuns du peuple étaient perpétuels. Il est vrai, mais ils n’étaient pas capables de mettre obstacle à la puissance d’un Scipion ; et en outre ils étaient obligés de porter d’abord les mesures qu’ils jugeaient favorables devant le Sénat lui-même, qui souvent se jouait d’eux, en faisant agréer au peuple l’homme qui inspirait le moins de craintes aux sénateurs eux-mêmes. Ajoutez à cela que la puissance des tribuns était protégée contre les patriciens par la faveur du peuple, et que ces tribuns avaient plutôt l’air d’exciter une sédition que de convoquer une assemblée, toutes les fois qu’ils appelaient le peuple au forum. Voilà des inconvénients qui n’existent pas dans l’État que nous avons décrit aux deux chapitres précédents.

4. Au reste, ce pouvoir des syndics se bornera simplement à conserver la forme du gouvernement, c’est-à-dire à réprimer toute infraction aux lois et à empêcher que personne puisse commettre aucune faute à son avantage. Mais il ne pourra jamais réprimer le progrès des vices sur lesquels les lois n’ont aucune action, de ces vices, par exemple, dans lesquels tombent les hommes de trop de loisir et qui amènent souvent la ruine d’un empire. En effet, quand règne la paix, les hommes dépouillent toute crainte ; ils deviennent insensiblement, de féroces et de barbares qu’ils étaient, humains et civils ; d’humains, ils deviennent mous et paresseux, et chacun met alors son ambition à surpasser les autres, non pas en vertu, mais en faste et en mollesse. Ils en viennent ainsi à dédaigner les mœurs de leur pays, à imiter les mœurs des nations étrangères, et, pour tout dire, ils se préparent à être esclaves.

5. Pour éviter ces maux, beaucoup de législateurs se sont efforcés d’établir des lois somptuaires ; mais c’est en vain. On se fait un jeu de violer toutes les lois qu’il