Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
APPENDICE.

de la même couleur, les yeux petits, noirs et vifs, une physionomie assez agréable et l’air portugais.

À l’égard de l’esprit, il l’avait grand et pénétrant ; il était d’une humeur tout à fait complaisante. Il savait si bien assaisonner la raillerie, que les plus délicats et les plus sévères y trouvaient des charmes tout particuliers.

Ses jours ont été courts, mais on peut dire néanmoins qu’il a beaucoup vécu, ayant acquis les véritables biens qui consistent dans la vertu, et n’ayant plus rien à souhaiter après la haute réputation qu’il s’est acquise par son profond savoir. La sobriété, la patience et la vivacité n’étaient que ses moindres vertus. Il a eu le bonheur de mourir au plus haut point de la gloire, sans l’avoir souillée d’aucune tache, laissant au monde sage et savant le regret de se voir privé d’une lumière qui ne lui était pas moins utile que la lumière du soleil. Car, quoiqu’il n’ait pas été assez heureux pour voir la fin des dernières guerres, où messieurs des états généraux reprirent le gouvernement de leur empire à demi perdu, soit par le sort des armes, ou par celui d’un malheureux choix, ce n’a pas été un petit bonheur pour lui d’être échappé à la tempête que ses ennemis lui préparaient. Ils l’avaient rendu odieux au peuple, parce qu’il avait donné les moyens de distinguer l’hypocrisie de la véritable piété et d’éteindre la superstition.

Notre philosophe est donc bien heureux, non-seulement par la gloire de sa vie, mais par les circonstances de sa mort, qu’il a regardée d’un œil intrépide, ainsi que nous le savons de ceux qui y étaient présents ; comme s’il eût été bien aise de se sacrifier pour ses ennemis, afin que leur mémoire ne fût point souillée de son parricide.

C’est nous qui restons qui sommes à plaindre ; ce sont tous ceux que ses écrits ont rectifiés et à qui sa présence était d’un grand secours dans le chemin de la vérité. Mais puisqu’il n’a pu éviter le sort de tout ce qui a vie, tâchons de marcher sur ses traces, ou du moins de les révérer par l’admiration et la louange, si nous ne pouvons l’imiter. C’est ce que je conseille aux âmes solides, et de suivre tellement ses maximes et ses lumières, qu’elles les aient toujours devant les yeux pour servir de règle à leurs actions ; ce que nous aimons et révérons dans les grands hommes est toujours vivant et vivra dans tous les siècles.

La plupart de ceux qui ont vécu dans l’obscurité et sans gloire demeureront ensevelis dans les ténèbres et dans l’oubli ; Baruch de Spinoza vivra dans le souvenir des vrais savants et dans leurs écrits qui sont le temple de l’immortalité.