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Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/75

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PRÉFACE.

et les controverses ne se tourneraient plus en séditions.

Or ce rare bonheur m’étant tombé en partage de vivre dans une république où chacun dispose d’une liberté parfaite de penser et d’adorer Dieu à son gré, et où rien n’est plus cher à tous et plus doux que la liberté, j’ai cru faire une bonne chose et de quelque utilité peut-être en montrant que la liberté de penser, non-seulement peut se concilier avec le maintien de la paix et le salut de l’État, mais même qu’on ne pourrait la détruire sans détruire du même coup et la paix de l’État et la piété elle-même. Voilà le principe que j’ai dessein d’établir dans ce Traité. Mais pour cela j’ai jugé nécessaire de dissiper d’abord divers préjugés, les uns, restes de notre ancien esclavage, qui se sont établis touchant la religion, les autres qu’on s’est formés sur le droit des pouvoirs souverains. Nous voyons en effet certains hommes se livrer avec une extrême licence à toutes sortes de manœuvres pour s’approprier la plus grande partie de ce droit, et, sous le voile de la religion, détourner le peuple, qui n’est pas encore bien guéri de la vieille superstition païenne, de l’obéissance aux pouvoirs légitimes, afin de replonger de nouveau toutes choses dans l’esclavage. Quel ordre suivrai-je dans l’exposition de ces idées, c’est ce que je dirai tout à l’heure en peu de mots ; mais je veux expliquer avant tout les motifs qui m’ont déterminé à écrire.

Je me suis souvent étonné de voir des hommes qui professent la religion chrétienne, religion d’amour, de bonheur, de paix, de continence, de bonne foi, se combattre les uns les autres avec une telle violence et se poursuivre d’une haine si farouche, que c’est bien plutôt par ces traits qu’on distingue leur religion que par les caractères que je disais tout à l’heure. Car les choses en sont venues au point que personne ne peut guère plus distinguer un chrétien d’un Turc, d’un juif, d’un païen que par la forme extérieure et le vêtement, ou bien en sachant quelle église il fréquente, ou enfin qu’il est atta-