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PRÉFACE.

pour l’État, et leur sont toujours accordés par les souverains, soit en vertu d’une concession tacite, soit en vertu d’une stipulation expresse. Après cela, je passe à la république des Hébreux, afin de montrer de quelle façon et par quelle autorité la religion a commencé à avoir force de loi, et je m’étends en passant à plusieurs autres choses qui m’ont paru dignes d’être éclaircies. Je prouve enfin que les souverains sont les dépositaires et les interprètes, non-seulement du droit civil, mais aussi du droit sacré, qu’à eux seuls appartient le droit de décider ce qui est justice et injustice, piété ou impiété, et je conclus que pour garder ce droit le mieux possible et conserver la tranquillité de l’État, ils doivent permettre à chacun de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il pense.

Tels sont, lecteur philosophe, les objets que je propose à vos méditations ; je m’assure que vous y trouverez de quoi vous satisfaire, à cause de l’excellence et de l’utilité du sujet de cet ouvrage et de chacun de ses chapitres ; et j’aurais sur ce point bien des choses à dire encore ; mais je ne veux point que cette préface devienne un volume. Je sais d’ailleurs que je m’entends au fond, pour le principal, avec les philosophes. Quant aux autres, je ne ferai pas grand effort pour leur recommander mon Traité ; je n’ai aucun espoir de leur plaire ; je sais combien sont enracinés dans leur âme les préjugés qu’on y a semés à l’aide de la religion ; je sais qu’il est également impossible de délivrer le vulgaire de la superstition et de la peur ; je sais enfin que la constance du vulgaire, c’est l’entêtement, et que ce n’est point la raison qui règle ses louanges et ses mépris, mais l’emportement de la passion. Je n’invite donc pas le vulgaire, ni ceux qui partagent ses passions, à lire ce Traité, je désire même qu’ils le négligent tout à fait plutôt que de l’interpréter avec leur perversité ordinaire, et, ne pouvant y trouver aucun profit pour eux-mêmes, d’y chercher l’occasion de nuire à autrui et de tourmenter les amis de la libre phi-