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Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/88

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TRAITÉ

reste, au chap. viii de ce Traité pourquoi les paroles et les pensées de l’un de ces Décalogues et celles de l’autre diffèrent entre elles. Mais la difficulté ne disparaît pas tout entière ; car, enfin, il n’est pas médiocrement contraire à la raison de penser qu’une chose créée, et qui a avec Dieu le même rapport que toute autre chose, puisse exprimer, ou en réalité ou par des paroles, l’essence ou l’existence de Dieu, et représenter Dieu en personne en disant : je suis Jéhovah ton Dieu, etc. Sans doute, quand la bouche de quelqu’un prononce ces paroles : J’ai compris, nul ne s’imagine que c’est la bouche de celui qui parle qui a compris, mais bien son âme. Mais comme la bouche de celui qui parle est rapportée à sa nature, dont elle fait partie, et que la personne à qui il s’adresse avait auparavant compris la nature de l’entendement, il lui est facile de comprendre la pensée de celui qui parle, en songeant que c’est un homme comme lui. Mais je ne comprends pas que des hommes qui ne connaissaient absolument rien de Dieu que son nom, et désiraient lui parler afin d’être certains de son existence, aient pu trouver la satisfaction de leur vœu dans une créature qui prononça ces mots : je suis Dieu ; puisque cette créature n’avait pas avec Dieu un plus intime rapport que toutes les autres, et ne représentait point sa nature. En vérité, je le demande, si Dieu avait disposé les lèvres de Moïse, que dis-je de Moïse, d’un animal quelconque, de façon qu’il eût prononcé ces mots : je suis Dieu, cela aurait-il fait comprendre aux Israélites l’existence de Dieu ?

D’un autre côté, l’Écriture paraît bien affirmer d’une manière expresse que Dieu lui-même parla aux Hébreux, puisqu’il ne descendit du ciel sur le Sinaï que pour cela, et que non-seulement les Hébreux l’entendirent parler, mais les principaux de la nation purent le voir (Exode, chap. 24). Car il faut remarquer que la loi qui fut révélée à Moïse, cette loi à laquelle on ne pouvait rien ajouter, ni rien ôter, et qui était comme le droit de la patrie,