Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/122

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 Comme en un palimpseste à travers d’autres signes
D’un ancien manuscrit ressuscitent les lignes,
Le roman de l’enfance à travers le présent
Reparaît tout entier, — calme, pur, innocent,
— Idylle de Gessner, conte de Berquin, — rose
Et suave peinture où soi-même l’on pose :
L’on compare son moi du jour au moi passé,
Et pour quelques instants le monde est effacé.
— Rien de mieux. — Mais l’hiver, en janvier, quand la neige
S’entasse aux toits blanchis, quand la rafale assiège
Votre vitre qui tremble et qui frissonne, — à quoi,
Mon Dieu, passer le temps ? — Il faut se tenir coi,
Se bien claquemurer, et, les talons dans l’âtre,
Parler chasse et gibier à quelque gentillâtre,
Faire un cent de piquet avec monsieur l’abbé,
Lire un ancien Mercure, ou, galant Sigisbé,
Pour passer au salon, prendre par sa main sèche
Une mistress Gryselde ennuyeuse et revêche,
Vrai portrait de famille à son cadre échappé,
Écu dans d’autres temps d’un autre coin frappé ;
Courtiser à l’écart une petite niaise
Sortant de pension, — toute rouge et tout aise,
Qui prend feu dès l’abord au moindre aveu banal
Et s’imagine avoir trouvé son idéal ;
Écouter un dandy, Brummel de la province,
Beau papillon manqué qui, pour être plus mince,
Barde ses flancs épais d’un corset et d’un busc,
Et, comme un vieux blaireau, pue à vingt pas le musc ;
Et le maire du lieu, docte et rare cervelle,
D’un air mystérieux colportant sa nouvelle.
— Autant et mieux, ma foi, vaudrait être pendu
Que rester enfoui dans ce pays perdu.


1831.