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Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/340

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TERZA RIMA



Quand Michel-Ange eut peint la chapelle Sixtine,
Et que de l’échafaud, sublime et radieux,
Il fut redescendu dans la cité latine,

Il ne pouvait baisser ni les bras ni les yeux ;
Ses pieds ne savaient pas comment marcher sur terre ;
Il avait oublié le monde dans les cieux.

Trois grands mois il garda cette attitude austère ;
On l’eût pris pour un ange en extase devant
Le saint triangle d’or, au moment du mystère.

Frère, voilà pourquoi les poètes, souvent,
Buttent à chaque pas sur les chemins du monde ;
Les yeux fichés au ciel, ils s’en vont en rêvant.

Les anges secouant leur chevelure blonde,
Penchent leur front sur eux et leur tendent les bras,
Et les veulent baiser avec leur bouche ronde.

Eux marchent au hasard et font mille faux pas ;
Ils cognent les passants, se jettent sous les roues,
Ou tombent dans des puits qu’ils n’apercoivent pas.