Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/374

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Vous lirez sur son front son amour tel qu’il est.
Le mot sans doute est beau, mais ce qui m’en déplaît,
C’est qu’il s’adresse à l’homme et non pas à la femme.
Quand le corps assouvi laisse en paix régner l’âme,
Qu’on s’écoute penser et qu’on entend son cœur,
Et que dans la maîtresse on embrasse la sœur,
La première lassée est la femme. La honte
D’avoir été vaincue au fond d’elle surmonte
Le bonheur d’être aimée ; elle hait son amant,
Comme on hait un vainqueur ; et, certe, en ce moment
Les choses sont ainsi : s’il est quelqu’un au monde
Qu’elle haïsse bien et de haine profonde,
C’est lui, car c’est son maître et son seigneur : il peut
Divulguer tout ; il peut la perdre s’il le veut ;
Il ne le voudra pas, mais il le peut. La crainte
A remplacé l’amour ; une froide contrainte
Succède aux beaux élans de folle liberté.
Adieu l’enivrement, le rire et la gaîté !
La femme se repent, et l’homme se repose,
Il a touché son but, il a gagné sa cause ;
C’est le triomphateur, le vainqueur, le César,
Qui, la couronne au front, au-devant de son char,
Malgré tout son amour, s’il peut la prendre vive,
Traînera sans pitié Cléopâtre captive.
Aspic, dresse ton col tout gonflé de venin,
Sors du panier de fleurs, siffle, et mords ce beau sein :
César attend dehors ! il lui faut Cléopâtre
Pour suivre le triomphe et paraître au théâtre ;
Il faut que sur leurs bancs les chevaliers romains
Disent : « Heureux César ! » et lui battent des mains.
La femme sait cela, que de reine et maîtresse,
Elle devient esclave et que son pouvoir cesse ;
Mais le sceptre qu’hier, dans l’oubli du plaisir,
Elle a laissé tomber, aujourd’hui le désir