Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/108

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ni son but. Ce n’est pas à un si beau terme que tendent ses déguisements. Ainsi le caractère distinctif de la vertu subsiste ; ainsi rien ne peut l’effacer.

Que prétendent donc quelques hommes qui confondent toutes ces choses, ou qui nient leur réalité ? Qui peut les empêcher de voir qu’il y a des qualités qui tendent naturellement au bien du monde, et d’autres à sa destruction ? Ces premiers sentiments, élevés, courageux, bienfaisants à tout l’univers, et par conséquent estimables à l’égard de toute la terre, voilà ce que l’on nomme vertu. Et ces odieuses passions, tournées à la ruine des hommes, et par conséquent criminelles envers le genre humain, c’est ce que j’appelle des vices. Qu’entendent-ils, eux, par ces noms ? Cette différence éclatante du faible et du fort, du faux et du vrai, du juste et de l’injuste, etc., leur échappe-t-elle ? Mais le jour n’est pas plus sensible. Pensent-ils que l’irreligion dont ils se piquent puisse anéantir la vertu ? Mais tout leur fait voir le contraire. Qu’imaginent-ils donc qui leur trouble l’esprit ? qui leur cache qu’ils ont eux-mêmes, parmi leurs faiblesses, des sentiments de vertu[1] ?

Est-il un homme assez insensé pour douter que la santé soit préférable aux maladies ? Non, il n’y en a pas dans le monde. Trouve-t-on quelqu’un qui confonde la sagesse avec la folie ? Non, personne assurément. On ne voit per-

    en regard de ce passage, une maxime de Vauvenargues, et s’étonne de la contradictlon : « Aidons-nous des mauvais motifs, pour nous fortitier dans les bons desseins. » On pourrait, je crois, répondre que la contradiction n’est qu’apparente, car l’auteur ne prétend pas que le vice n’opére jamais le bien, et qu’on ne puisse jamais, par conséquent, en tirer parti pour une fin vertueuse ; il soutient seulement que, méme dans ce cas, le vice ne peut revendiquer le merite du bien qu’il a produit, parce que ce bien n’était si son objet no son but. Ce n’est pas, du reste, que les contradictions ne soient nombreuses dans Vauvenargues ; il en convient lui-meme et ne s’en embarrasse guère. Nous avons trouvé à ce sujet, dans les manuscrits du Louvre, cette pensée inédite : « Si l’on me dit que je me contredis, je réponds : parce que je me suis trompé une fois ou plusieurs fois, je ne prétends point me tromper toujours. » — G.

  1. Première édition : « Hommes faibles, vous n’étes pas si méchants que vous le croyez ; vous avez aussi des vertus. » Nous regrettons ce mouvement, que Voltaire a supprimé, parce que le mot faibles lui semblait, avec raison d’ailleurs, aller contre l’idée meme de Vauvenargues. — G.