Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
57
DE L’ESPRIT HUMAIN.

chose d’aussi réel que la santé, etc. Il est difficile de ne pas sentir dans un homme qui maîtrise la fortune, et qui par des moyens puissants arrive à des fins élevées, qui subjugue les autres hommes par son activité, par sa patience ou par de profonds conseils ; je dis qu’il est difficile de ne pas sentir dans un génie de cet ordre une noble réalité. Cependant il n’y a rien de pur et dont nous n’abusions sans peine[1].

La grandeur d’âme est un instinct élevé qui porte les hommes au grand, de quelque nature qu’il soit, mais qui les tourne au bien ou au mal, selon leurs passions, leurs lumières, leur éducation, leur fortune, etc. Égale à tout ce qu’il y a sur terre de plus élevé, tantôt elle cherche à soumettre par toutes sortes d’efforts ou d’artifices les choses humaines à elle, et tantôt, dédaignant ces choses, elle s’y soumet elle-même sans que sa soumission l’abaisse : pleine de sa propre grandeur, elle s’y repose en secret, contente de se posséder. Qu’elle est belle, quand la vertu dirige tous ses mouvements ! mais qu’elle est dangereuse alors qu’elle se soustrait à la règle ! Représentez-vous Catilina au-dessus de tous les préjugés de la naissance, méditant de changer la face de la terre et d’anéantir le nom romain ; concevez ce génie audacieux, menaçant le monde du sein des plaisirs, et formant, d’une troupe de voluptueux et de voleurs, un corps redoutable aux armées et à la sagesse de Rome.

Qu’un homme de ce caractère aurait porté loin la vertu, s’il eût été tourné au bien ! mais les circonstances malheureuses le poussent au crime. Catilina était né avec un amour ardent pour les plaisirs, que la sévérité des lois aigrissait et contraignait ; sa dissipation et ses débauches l’engagèrent peu à peu à des projets criminels : ruiné, décrié, traversé, il se trouva dans un état où il lui était moins facile de gouverner la république que de la détruire[2]

  1. [Manque de liaison et d’ordre. — V.]
  2. ci les diverses éditions donnent un membre de phrase que Voltaire trouvait