Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/152

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98 mtrnnxious que divers objets ne m'avertissent et ne me parlent de ca- lamités que j’ignore. Tandis que, dans la grande allée, se presse et se heurte une foule d’hommes et de femmes sans passions, je rencontre, dans les allées détournées, des misé- rables qui fuient la vue des heureux, des vieillards qui cachent la honte de leur pauvreté, des jeunes gens que l'erreur de la gloire entretient à l'écart de ses chimères, des femmes que la loi de la nécessité condamne a l’oppro- bre, des ambitieux qui concertent peut-étre des témérités inutiles pour sortir de l`0bscurité· ll me semble alors que je vois autour de moi toutes les passions qui se promènent, et mon ame s’afllige et se trouble a la vue de ces infortu- nés, mais, en méme temps, se plait dans leur compagnie séditieuse. Je voudrais quelquefois aborder ces solitaires, 'pour leur donner mes consolations; mais ils craignent d'étre arrachés à. leurs pensées, et ils se détournent de moi : le plaisir et la société n’ont plus de charmes pour ceux que 1'illusion de la gloire asservit; la joie et le rire ne font que passer sur .leurs lèvres. Je plains ces misères cachées, que la crainte d’ètre connues rend plus pesantes; je veux, si je puis, fuir le vice, et fermer mon cœur aux promesses des passions injustes; mais il y aurait de la dureté à n'etre pas touché de la faiblesse de tant d'hommes qui, sans les mal- heurs de leur vie, auraient pu chérir la vertu, et achever leurs jours dans l'innoceuce '.] lil. — [sun LA rmvours ou Mouse.] [Le monde est rempli de gens qui passent leur vie à s’en- tretenir les uns les autres de ce qu'ils savent, à se raconter ' des faits dont ils sont réciproquement instruits, ou des ac- tions auxquelles ils ont eu la méme part; ils se rappellent avec vivacité des choses qu’aucun d'eux n’a oubliées, les t Il faut reconnaitre que cette préocupation, si profonde mais en meme temps si discrète, des souffrances individuelles, et surtout cet acœnt A la fois si pénétré et si peu déclamatoire, étaient rares au i8• siècle, où les écrivains, comme nous l'avons dit dans notre Éloge de Vauvenargues, paraissent plus en souci de lu destinéedu genre humaiuquu de celle de l’individu. - G.