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DES DIFFÉRENTS SIÈCLES.

miner, cela ne m’étonne en aucune manière ; mais que, tous les jours, sur les choses qui nous sont le plus familières et que nous avons le plus examinées, nous prenions néanmoins le change ; que nous ne puissions avoir une heure de conversation un peu suivie sans nous tromper ou nous contredire, voilà à quoi je reconnais la petitesse de l’esprit humain[1]. Un homme d’un peu de bon sens, qui voudrait écrire sur des tablettes tout ce qu’il entend dire dans le jour de faux et d’absurde, ne se coucherait jamais sans les avoir remplies. Je cherche quelquefois parmi le peuple l’image de ces mœurs grossières que nous savons tant de peine à comprendre dans les anciens peuples ; j’écoute ces hommes si simples : je vois qu’ils s’entretiennent de choses communes, qu’ils n’ont point de principes réfléchis, que leur esprit est véritablement barbare comme celui de nos pères, c’est-à-dire inculte et sans politesse ; mais je ne trouve pas, qu’en

    bas, que le bonheur d’être né chrétien et catholique ne peut être comparé à aucun autre bien, et, en attendant, il entoure sa pensée de toutes les réserves que les écrivains de la première moitié du XVIIIe siècle, Voltaire lui-même, s’imposaient encore ; mais, malgré ces précautions obligées, malgré la gravité ordinaire de Vauvenargues, ici, l’intention ironique, presque railleuse, est assez transparente, et plus d’un mot la dénonce. On en pourrait conclure que ce Discours est un de ses premiers ouvrages ; car, dans les dernières années de sa vie, il a moins d’assurance ; en tous cas, il n’a pas cet air dégagé ; ou il évite de rencontrer le christianisme et passe à côté, ou, s’il l’aborde, c’est avec une inquiétude et un respect dont la sincérité n’est plus douteuse. En admettant ces deux périodes dans la vie de Vauvenargues, ces deux mouvements dans sa pensée, on s’explique aisément ses nombreuses contradictions sur ce point comme sur plusieurs autres, et les prétentions contraires de ceux qui en font, selon leurs passions ou leurs préférences, les uns un incrédule, les autres un chrétien. (Voir plus loin, les Notes sur la Méditation sur la Foi et de la Prière.) — G.

  1. Var. : « Qu’on ait donc adopté de grandes fables dans des siècles pleins d’ignorance ; que ce qu’un génie audacieux faisait imaginer aux âmes fortes, le temps, l’espérance, la crainte, l’aient enfin persuadé aux autres hommes ; qu’ils aient trop respects des opinions qu’on reçoit de l’autorité de la coutume, du pouvoir de l’exemple, et de l’amour des lois ; ni cela ne me semble étrange, ni je n’en conclus que ces peuples aient été plus faibles que nous. Ils se sont trompés sur des choses qu’on n’a pas toujours la hardiesse et même les moyens d’examiner. Est-ce à nous de les en reprendre, nous qui prenons le change de tant de manières sur des bagatelles ; nous qui, même sur les sujets les plus discutés et les plus connus, ne saurions d’ordinaire avoir une heure de conversation sans nous tromper on nous contredire ? »