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DE VAUVENARGUES.


comme les jeunes officiers qui l’entourent, il y met, du moins, de nobles conditions : en vrai gentilhomme, il veut, même dans les attachements illégitimes, le respect de la parole une fois donnée, le respect de la femme quelle qu’elle soit ; il n’admet pas, il le dit lui-même, que sur ce point on sépare son estime de son goût[1]. Parlerons-nous d’un autre penchant cher à la jeunesse, de la libéralité ? Comme ses compagnons, Vauvenargues est libéral, prodigue même de sa bourse[2], mais il l’est autrement qu’eux : ce n’est pas cette prodigalité de tempérament, qui abandonne plutôt qu’elle ne donne, qui tient autant a l’imprévoyance de l’avenir qu’à l’effusion d’un bon cœur ; ce n’est pas cette prodigalité d’ostentation, qui pousse à faire montre d’un état qu’on ne peut longtemps soutenir, faiblesse commune aux jeunes gentilshommes d’alors, qui avaient encore tout l’orgueil de la situation qu’ils n’avaient plus ; chez Vauvenargues, c’est une libéralité raisonnée dans son élan, et qui s’autorise de cette remarque, singulièrement profonde pour un jeune homme, que la mesquine économie ne fait qua de misérables fortunes, et ne crée point d’empire sur les cœurs[3] ; il donne avec la réflexion de l’homme mûr, on dirait presque avec le calcul du politique. Parlerons-nous enfin de la guerre ? Ainsi que ses compagnons, Vauvenargues l’aime ; mais comment l’aime t-il ? Est-ce cette ardeur toute juvénile qui s’éprend de toute émotion forte, et, dans ces grandes mêlées humaines, s’enivre du bruit qu’elles font, des épées qui se brisent, du tambour qui bat, et du canon qui tonne ? Est-ce ce courage, trop intéressé pour qu’on l’admire, qui poursuit à

  1. L’amour, tel que Vauvenargues le conçoit, élève le cœur qu’il touche ; il en fait sortir toutes les vertus, il en apaise tous les vices. Dans le Caractère intitulé : Aceste ou l’Amour ingénu, il fait de cet amour une peinture singulièrement touchante, et il n’est pas inutile ne faire observer que c’est presque au temps de la Régence qu’il écrivait ces lignes pleines de grâce et de cœur. — Voir aussi le chapitre de l’Amour, dans l’Introduction à la Connaissance de l’esprit humain.
  2. Mirabeau nous apprend que c’était la mode alors de se ruiner à l’armée. — Voir les Mémoires de Mirabeau. tome Ier, page 135.
  3. « La libéralité, dit Vauvenargues, est une occasion de se faire aimer, d’acquérir une considération utile et légitime… Même, si notre fortune est médiocre, apprenons à subordonner les petits intérêts aux grands, même éloignés,… et faisons, généreusement et sans compter, tout le bien qui tente nos cœurs. » (Réflexions sur divers sujets. — Conseils à un Jeune homme.)