licence de son ordre, — Faibles philosophes! entendez-vous
bien ce que vous dites? Savez-vous que vous n'admirez que
les choses qui passent vos forces ou vos connaissances?
Savez-vous que si vous compreniez bien l'univers, et qu’il
ne s’y rencontrat rien qui psssât les limites de votre pou-
voir, vous cesseriez aussitot de l'admirer7 Cest donc votre
très-grande petitesse qui fait un colosse de l'univers; c'est
votre faiblesse infinie qui vous le représente dans votre
poussiere, animé d’un esprit si vaste, si puissant et si pro-
digieux. Cependant tout petits, tout bomés que vous étes,
vous ne laissez pas d'apercevoir de grands défauts dans cet
inlini, et il vous est impossible de justifier tous les maux
moraux et physiques que vous y éprouvez. Vous dites que
c'est la faiblesse de votre esprit qui vous empèche de voir
l'utilité et la bienséance de ces désordres apparents; mais
pourquoi ne croyez-vous pas tout aussi bien que c'est cette
méme faiblesse de vos lumières qui vous empeche de saisir
le vice des beautés apparentes que vous admirez'? Vous
répondez que I'univer·s a la meilleure forme possible, puis-
que Dieu l'a faittel qu'il est. Cette solution est d’un théolo-
gien, non d’un philosophe; or, c'est par cet endroit qu’elle
me touche, et je m’y soumets sans réserve; mais je suis I
bien aise de faire connaitre que c'est parla théologie, et
non parla vanité de la philosophie, qu’on peut prouver les
dogmes de la religion.
• Cette Idée parait absolument fausse; car la beauté de l'ordre qui régit
l‘univers est dans l'univer·s meme. Ce que nous sdmirons, c'est que l'unlvers
subsiste; car nous ne pouvons douter qu'il subsiste. Qu’lI puisse subsister
autrement, mieux, si I'on veut, il la bonne heure; il n'en est pas moins vnl
qu’ll subsiste. Je puis voir plus loin, mais il n'en estpas moins admirable
que je voie. Je puls avoir un sans de plus, mes sens n'en sont pas moins une
machine admirable. Ces résultats que je ne puis nier, sont ce que fsppelle
les beautés de I’ordre de I'univers. Cu beautés ne peuvent donc etre simple-
ment apparentes, puisque nous n'en jugeons que par les résultats de cet.
ordre. Cet ordre ne peut avoir de vices cachés, puisque ces vlces le contra-
rier-sient et empécbersient les résultats que nous sdmirons. Au lieu que ce
que nous prenons pour des défauts peut conduire L des résultats que nous ne
connaissons pas; car on peut croire À ce qu’on ignore, et non pas nier ce que
I'on connait. — S.
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SUR LE LIBRE ARBITRE.