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SUR QUELQUES POÈTES.


d’un comédien détruit le charrue naturel de la poésie, comment l’emphase meme du poète, ou Pimpropriété de ses expressions, ne dégoùteraient-elles pas les. esprits justes de sa fiction et de ses idées ?

Racine n’est pas sans défauts : il a mis quelquefois dans ses ouvrages un amour faible qui fait languir son action; il n’a pas conçu assez fortement la tragédie ;·il n’a point assez · fait agir ses personnages ’; on ne remarque pas dans ses écrits autant d’énergie‘que d’élévation, ni autant de hare diesse que d’égalité; plus savant encore à faire naitre la pitié que la terreur, et l’admiration que Yétonnement, il n’a pu atteindre au tragique de quelques poètes. Nul homme n’a eu en partage tous les dons. Si d’ailleurs on veut étre juste, on avouera que personne ne donna jamais au théatre plus de ·pompe, n’éleva plus haut la parole, et n’y versa plus de douceur. Qu’on examine ses ouvrages sans prévention: _ quelle facilité! quelle abondance l quelle poésie l quelle imagination dans Yexpression ’ l Qui créa jamais une langue ou plus magnifique, ouplus simple, ouplus variée, ou plus noble`, ou plus harmonieuse et plus touchante? Qui mit ’ jamais autant de vérité dans ses dialogues, dans ses images, dans ses caractères, dans l’expression des passions? Serait- il trop hardi de dire que c’est le plus beau génie que la France ait eu, et le plus éloquent de ses poètes?

Corneille a trouvé le théatre vide, et a eu l’avantage _


  • Dans la 1** édition, au lieu de ce paragraphe, on lit: «0n trouve aussi des exemples dans Corneille, mais plus rares, de l’art dont je parle, et., s’il avait écrit plus tard, on ne peut pas savoir a quelle perfection il aurait porté ses ouvrages; mais puisqu’ils ne sont pas purgés de la barbarie de son siècle, on peut croire qu’il n’avait pas reçu de la nature ce génie supérieur aux erreurs de l’exemple, et qui semble fait tout expres pour servir

• de modèle aux hommes, tel, peut-étre, que celui de Pascal, qui écrivait les Lettres Provinciales dans le temps que Corneille donnait ses chefs-d’œuvre. ~ — Nous avons noté plus haut, dans l’Éloge de Louis XV, que pour Vauvenargues la barbarie ne cesse qu’a Corneille ; on voit qu’ici l‘auteur va plus loin, et que, selon lui, Corneille en tient encore. — G.

  • Cu trois concessions sont de la 2* édition. - G.
  • Dans la i" édition, il ajoutait: quels caractères! Voltaire lui repond en

marge : non! Vauvenargues y renonce; mais il ajoute, en revanche, les mia phrases qui suivent. - G. ·