lui manquent, son imagination ardente l’occupe en secret
des objets que son cœur demande, et toutes ses visées sont
extrêmes comme ses sentiments; il estime peu ce qu’il ne
désire ou n’admire point, et il regarde sans intéret ce qu’il
ne regarde pas avec passion. ll passe avec rapidité d‘une
idée à une autre, et il épuise en un instant le sentiment
qui le domine; mais personne n'entre avec plus de vérité
dans le personnage que ses passions lui font jouer, et il est
presque sincère dans ses artificesyparce qu’il sent, malgré
lui, tout ce qu’il vent feindre. (Pest l'homme le moins
propre aux aiïaires qui demandent de la- suite et de la pa-
tience; qui s’attache et se dégoûte le plus promptement;
qui pousse le plus vivement un intéret unique, et qui est
le plus incapable d’en conduire plusieurs à la fois; qui '
néglige entiérement les petites choses, ou qui s’en in-
quiète outre mesure; qui présume le plus de soi. dans
ses projets, mais qui imagine toujours plus qu’il ne peut
exécuter; destiné par la nature à. commettre de grandes
fautes, parce qu’il conçoit trop vivement, et qu’il entre-
prend avec témérité ce qu’il a conçu avec transport; cepen-
dant, d’un courage vrai et altier, qui embrasse par réflexion,
les affaires mème dont. il désespère par sentiment; qui,
rebuté quelquefois par les plus légers obstacles, cependant,
ne tléchit pas, d'ordinaire,.sous les plusgrands; intrépide
dans le désespoir, il oppose la résolution et la prudence
aux infidelités de son humeur; il tire de ses faiblesses même
des vertus, et répare, par la sagesse de son esprit, les
inégalités de son cœur. Les âmes égales* sont souvent mé-
diocres; il faut savoir estimer les hommes qui s'éIèvent par
saillies à toutes les vertus, quoiqu'ils ne s'y puissent te-
nir; leur cœur s'élance vers la générosité, vers le courage,
vers la compassion, et retombe ensuite dans les mouvements
contraires. Do telles vertus, pour être subites, ne sont point
fausses; elles vont quelquefois plus loin dans l'héroîsme
1 La Iln de ce morceau aéré mise a tort dans les Maxima, parles édi-
teurs précédents. ·-`G.
Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/371
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SUR QUELQUES CARACTÈRES.