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Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/390

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ESSAI


prennent point; il les prévoit ou il les répare; il ne se décourage ni de ses mauvais succès, ni de ses fautes, ni des fautes de ses amis, qu’il n’abandonne ou ne désavoue jamais; enfin, il est aussi patient contre l’obstacle, qu’il est décidé dans l’exécution. Il estime les hommes, non pas selon leur fortune, mais salon leur courage et la force de leur caractère; il préfère les sages à ceux qui n’ont que de l’esprit, et les jeunes gens ambitieux aux vieillards qui n’ont que de la sagesse, parce que la jeunesse est plus agissante, plus hardie dans ses espérances, plus généreuse dans sa conduite, et plus sincère dans ses affections. Quiconque a de la résolution, et l’audace de bien faire, peut se jeter avec confiance entre ses bras; il sert ses amis dans leurs peines, dans leurs disgrâces, et dans leurs plaisirs; il entre dans l’intérêt de leurs affaires; son esprit, fécond en ressources, leur ouvre des voies faciles pour aller à leurs fins, et il engage tous ses amis à se servir les uns les autres, comme il les sert lui-même. Ceux qui sont pauvres ou dérangés tirent des secours de ceux qui sont riches, et leur rendent d’autres offices par retour. Ainsi, sans orgueil et sans faste, Turnus est adoré d’un grand parti, avant que ceux qui le composent sachent même que c’est un parti; aucun n’a son- secret, mais il est sûr de tous, et, lorsqu’il sera temps d’agir, il n’aura qu’à se mettre a leur tête, et ils le suivront avec joie; nul ne manquera à son chef, à son bienfaiteur, à son ami. La réputation de son mérite et ses insinuations lui ont concilié un très·grand nombre de ces hommes sages, qui ont toujours de l’autorité dans le public, quoiqu’ils n’occupent pas les premières places. Si les ennemis de Turnus répandent qu’il trame quelque dessein contre la république, ses amis se rendent garants de son innocence, sollicitent pour lui quand il est accusé, et détournent contre ses délateurs l’indignation publique. Il parvient peu à peu a un tel degré d’autorité, qu’il peut, sans imprudence, faire confidence de ses desseins; celui qui songerait a le trahir ne trouverait point de créance dans le peuple; mais nul n’y