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ÉLOGE.


se propose, avant tout, d’aller vite, et de traîner après lui peu de bagage. Préoccupé de la concision, il aime à négliger les formes intermédiaires, qui achèvent l’expression dans le style ; et, comme alors sa pensée va plus vite que son raisonnement, il est quelquefois obscur ; parfois aussi son dessin est un peu sec, sa couleur est un peu terne, parce qu’il dédaigne l’agrément, et « cet esprit qui enveloppe, dit-il, les simplicités de la nature. » Cependant, en plus d’un endroit, il se relâche de sa sévérité ordinaire ; il se laisse aller au tour fin et piquant, et c’est principalement quand il parle de la sottise ; il n’y a que les sots pour le mettre en belle humeur : « Tel qui s’habille le matin à huit heures, pour entendre plaider à l’audience, ou pour voir des tableaux étalés au Louvre, ou pour se trouver aux répétitions d’une pièce prête à paraître, et qui se pique de juger, en tout genre, du travail d’autrui, est un homme auquel il ne manque souvent que de l’esprit et du goût. » N’est-ce pas la coupe de phrase, et la chute de La Bruyère ? Parfois aussi, quand il parle des objets qui lui sont chers, de la jeunesse et de la gloire, par exemple, son style s’échauffe, s’élève comme par coups d’aile, et la force du sentiment emporte avec elle la force de l’expression ; il prend alors ses images au monde extérieur, et, comme les Grecs, il les emprunte surtout à l’aurore, au printemps, à tout ce que la nature a de plus frais, de plus jeune, et de plus beau. Cependant, si réservés que fussent ces emprunts, Voltaire trouvait la prose de Vauvenargues encore trop riche et trop métaphorique. Croirait-on, par exemple, qu’il biffait de sa main, les jugeant trop poétiques, ces deux maximes justement fameuses : « Les premiers jours du printemps ont moins de grâce que la vertu naissante d’un jeune homme. — Les feux de l’aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire ? » Qu’aurait dit Voltaire de ces lignes inédites, pleines d’une admirable tendresse et d’une discrète mélancolie : « La vue d’un animal malade, le gémissement d’un cerf poursuivi dans les bois par des chasseurs, l’aspect d’un arbre penché vers la terre et traînant ses rameaux dans la poussière, les ruines méprisées d’un vieux bâtiment, la pâleur d’une fleur qui tombe et qui se flétrit, enfin, toutes les images du malheur des hommes, ré-