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DE VAUVENARGUES.

Ici, l’on ne peut se défendre d’un rapprochement amené par le sujet même : La Rochefoucauld, dans un grand état de fortune et de naissance, au premier rang par le titre et la situation, s’est complu longtemps dans les grandes choses amoindries, dans les passions mesquines, dans la guerre, dans les révolutions, dans la diplomatie, réduites à l’état d’intrigues ; en somme, il a manqué sa vie, et l’a manquée par sa faute ; il le sait, il en souffre ; mais, trop orgueilleux ou trop faible, il n’a pas le courage d’être clément pour les hommes, parce qu’il lui faudrait être sévère pour lui-même peut-être, et, dans cette alternative de prononcer contre tous, ou de ne s’en prendre qu’à lui de ses fautes, il aime mieux condamner toute l’humanité avec lui, que de se condamner sans elle. Vauvenargues, au contraire, est pauvre ; sa naissance est médiocre ; il aspire à tout, et n’arrive à rien : mais il a l’âme grande dans un petit destin, et La Rochefoucauld a l’âme petite dans une haute sphère ; les bonheurs de l’un l’aigrissent, les malheurs de l’autre l’élèvent, et, quand Vauvenargues arrive, comme La Rochefoucauld, à la pensée après l’action, son œuvre, écrite, presque sur un grabat, au milieu de souffrances vives et continuelles, son œuvre est un cordial aussi fortifiant que l’œuvre de l’autre est désolée, et désolante. Tous deux, cependant, ont un point commun, la recherche et le besoin de l’approbation humaine ; mais l’un est si pur, qu’il purifie jusqu’à la vanité, jusqu’à l’amour des louanges, tandis que l’autre calomnie jusqu’à la gloire, jusqu’à l’enthousiasme, jusqu’à l’amitié, jusqu’à l’amour !

Ce qu’on a dit de Montesquieu, on peut le dire de Vauvenargues : il rend ses titres à l’humanité ; il lui restitue ses vertus, comme il le dit lui-même, et, où les autres mettent le frein, il met l’aiguillon. Il prend également à partie, et la fausse prudence qui craint d’être dupe, et la fausse humilité qui craint de faire

    qu’il ne semble. Ce n’est pas chose si aisée, heureusement, que d’obéir à son seul intérêt, et l’homme n’est pas, à ce point, sûr de lui, même pour le mal. Que de fausses vues, que de fausses démarches, que d’apparences décevantes ! Si bien, qu’après avoir plus d’une fois appuyé sa vie et sa conduite sur un fondement aussi fragile, plus d’un arrive à la fin, qui n’a rien gagné à ce jeu, trop heureux quand il lui reste, comme ressource et comme dernière chance de gloire, de composer, à temps perdu, de tristes mais admirables maximes.