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DISCOURS.

contrarient ; et les autres passent leur vie à douter et à disputer, sans s’embarrasser des sujets de leurs disputes et de leurs doutes.

Je me suis souvent étonné, lorsque j’ai commencé à réfléchir, de voir qu’il n’y eût aucun principe sans contradiction, point de terme même sur les grands sujets dans l’idée duquel on convint. Je disais quelquefois en moi-même : Il n’y a point de démarche indifférente dans la vie ; si nous la conduisons sans la connaissance de la vérité, quel abîme ! Qui sait ce qu’il doit estimer, ou mépriser, ou haïr, s’il ne sait ce qui est bien ou ce qui est mal ? et quelle idée aura-t-on de soi-même, si l’on ignore ce qui est estimable ? etc.

On ne prouve point les principes, me disait-on. Voyons s’il est vrai[1], répondais-je ; car cela même est un principe très-fécond, et qui peut nous servir de fondement[2].

Cependant j’ignorais la route que je devais suivre pour sortir des incertitudes qui m’environnaient ; je ne savais précisément ni ce que je cherchais, ni ce qui pouvait m’éclairer ; et je connaissais peu de gens qui fussent en état de m’instruire. Alors j’écoutai cet instinct qui excitait ma curiosité et mes inquiétudes, et je dis : Que veux-je savoir ? que m’importe-t-il de connaitre ? Les choses qui ont avec moi les rapports les plus nécessaires,

    on s’endort, pour ainsi dire, sur l’autorité des maximes populaires, n’y ayant point de principe sans contradiction, point de terme même sur les grands sujets dans l’idée duquel on convienne. Je n’en citerai qu’un exemple : ·qu’on me définisse la vertu. »

    (*) Le rapport de ce mot est douteux ; mais il est clair que c’est de la doctrine d’Aristote, ou de l’antiquité, qu’il s’agit — G.

  1. Au lieu de si cela est vrai ; locution incorrecte qui reviendra souvent, et que nous notons une fois pour toutes. — G.
  2. On trouve encore ici dans la première édition un passage qui fut supprimé dans la seconde, et que nous rétablissons : « Nous nous appliquons à la chimie, à l’astronomie, ou à ce qu’on appelle érudition, comme si nous n’avions rien à connaitre de plus important. Nous ne manquons pas de prétextes pour justifier ces études ; il n’y a point de science qui n’ait quelque côté utile. Ceux qui passent toute leur vie à l’étude des coquillages, disent qu’ils contemplent la nature. Ô démence aveugle ! la gloire est-elle un nom, la vertu une erreur, la foi un fantôme ? Nous nions ou nous recevons ces opinions que nous n’avons jamais approfondies, et nous nous occupons tranquillement de sciences purement curieuses. Croyons-nous connaitre les choses dont nous ignorons les principes ?

    « Pénétré de ces réflexions dès mon enfance, et blessé des contradictions trop manifestes de nos opinions, je cherchai au travers de tant d’erreurs les sentiers délaissés du vrai, et je dis, que veux-je savoir ? etc. »