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INTRODUCTION À LA CONNOISSANCE

qu’avec peine ne va pas souvent jusqu’au cœur, ou n’y fait qu’une impression faible ; c’est là ce qui fait que les choses qu’on ne peut saisir d’un coup d’œil ne sont point du ressort du goût.

Le bon goût consiste dans un sentiment de la belle nature ; ceux qui n’ont pas un esprit naturel ne peuvent avoir le goût juste.

Toute vérité peut entrer dans un livre de réflexion ; mais dans les ouvrages de goût[1], nous aimons que la vérité soit puisée dans la nature ; nous ne voulons pas d’hypothèses ; tout ce qui n’est qu’ingénieux est contre les règles du goût[2].

Comme il y a des degrés et des parties différentes dans l’esprit, il y en a de même dans le goût. Notre goût peut, je crois, s’étendre autant que notre intelligence ; mais il est difficile qu’il passe au delà. Cependant ceux qui ont une sorte de talent, se croient presque toujours un goût universel ; ce qui les porte quelquefois jusqu’à juger des choses qui leur sont les plus étrangères. Mais cette présomption, qu’on pourrait supporter dans les hommes qui ont des talents, se remarque aussi parmi ceux qui raisonnent des talents, et qui ont une teinture superficielle des règles du goût, dont ils font des applications tout à fait extraordinaires[3]. C’est dans les grandes villes, plus que dans les autres, qu’on peut observer ce que je dis : elles sont peuplées

  1. Qu’est-ce que les ouvrages de goût ? Sont-ce les ouvrages dont le goût seul doit juger ? Mais il y en a de plusieurs sortes : pourquoi ce qui n’est qu’ingénieux en doit-il être banni ? Ce qui n’est qu’ingénieux n’est pas vrai, et ce qui n’est pas vrai, n’est bon nulle part ; et où est la vérité qui ne soit pas puisée dans la nature ? Toute cette pensée ne paraît pas nette. — S.
  2. [L’auteur va beaucoup trop loin : tout ce qui n’est qu’ingénieux là où il faut plus que de l’esprit, ou autre chose que de l’esprit, est contraire au goût ; dans tout autre cas, et il y en a beaucoup, la maxime de l’auteur n’est nullement vraie. — La H.]
  3. [Comment a-t-on pu voir si bien, étant si jeune ! — V.]