Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/11

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et calme paysage, éprise de la campagne et de la muse pastorale de Sicile ; une âme modeste et modérée, née et nourrie dans cette médiocrité domestique qui rend toutes choses plus senties et plus chères ; — se voir arracher tout cela, toute cette possession et cette paix, en un jour, par la brutalité de soldats vainqueurs ! ne se dérober à l’épée nue du centurion qu’en fuyant ! quel fruit des guerres civiles ! Virgile en garda l’impression durable et profonde. On peut dire que sa politique, sa morale publique et sociale, datèrent de là. Il en garda une mélancolie, non pas vague, mais naturelle et positive ; il ne l’oublia jamais. Le cri de tendre douleur qui lui échappa alors, il l’a mis dans la bouche de son berger Mélibée, et ce cri retentit encore dans nos cœurs après des siècles :

« Est-ce que jamais plus il ne me sera donné, après un long temps, revoyant ma terre paternelle et le toit couvert de chaume de ma pauvre maison, après quelques étés, de me dire en les contemplant : « C’était pourtant là mon domaine et mon royaume ! » Quoi ? un soldat sans pitié possédera ces cultures si soignées où j’ai mis mes peines ! un barbare aura ces moissons ! Voilà où la discorde a conduit nos malheureux concitoyens ! voilà pour qui nous avons ensemencé nos champs[1] ! »

Toute la biographie intime et morale de Virgile est dans ces paroles et dans ce sentiment.

Plus qu’aucun poëte, Virgile est rempli du dégoût et du malheur des guerres civiles, et, en général, des guerres, des dissensions et des luttes violentes. Que ce soit Mélibée ou Énée qui parle, le même accent se retrouve, la même note douloureuse : « Vous m’ordonnez donc, ô reine ! de renouveler une douleur qu’il faudrait taire…, de repasser sur toutes les misères que j’ai vues, et dont je suis moi-même

  1. Dans ces traductions, je me suis occupé à mettre en saillie le sentiment principal, sauf à introduire dans le texte une légère explication. Si l’on traduisait avec suite tout un ouvrage, on devrait s’y prendre différemment ; mais pour de simples passages cités, je crois qu’il est permis et qu’il est bon de faire ainsi.