Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/18

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« Nous avons déjà remarqué, dit M. de Chateaubriand, qu’une des premières causes de la mélancolie de Virgile fut sans doute le sentiment des malheurs qu’il éprouva dans sa jeunesse. Chassé du toit paternel, il garda toujours le souvenir de sa Mantoue ; mais ce n’était plus le Romain de la république, aimant son pays à la manière dure et âpre des Brutus, c’était le Romain de la monarchie d’Auguste, le rival d’Homère et le nourrisson des Muses.

« Virgile cultiva ce germe de tristesse en vivant seul au milieu des lois. Peut-être faut-il encore ajouter à cela des accidents particuliers. Nos défauts moraux ou physiques influent beaucoup sur notre humeur, et sont souvent la cause du tour particulier que prend notre caractère. Virgile avait une difficulté de prononciation ; il était faible de corps[1], rustique d’apparence. Il semble avoir eu dans sa jeunesse des passions vives auxquelles ses imperfections naturelles purent mettre des obstacles. Ainsi des chagrins de famille, le goût des champs, un amour-propre en souffrance et des passions non satisfaites s’unirent pour lui donner cette rêverie qui nous charme dans ses écrits. »


Tout cela est deviné à ravir et de poëte à poëte : mais l’amour-propre en souffrance et les passions non satisfaites me semblent des conjectures très-hasardées : parlons seulement de l’âme délicate et sensible de Virgile et de ses malheurs de jeunesse. D’ailleurs, il avait précisément le contraire de la difficulté de prononciation ; il avait un merveilleux enchantement de prononciation. Ce qui a trompé l’illustre auteur, qui, à tous autres égards, a parlé si excellemment de Virgile, c’est qu’il est dit en un endroit de la Vie du poëte, par Donat, qu’il était sermone tardissimus ; mais cela signifie seulement qu’il n’improvisait pas, qu’il n’avait pas, comme on dit, la parole en main. Il ne lui arriva de plaider qu’une seule fois en sa vie, et sans faire la réplique. En un mot, et c’est ce qui n’étonnera personne, Virgile était aussi peu que possible un avocat. Son portrait par Donat, qui a servi de point de départ à celui qu’on vient de lire par M. de Chateaubriand, peut se traduire plus légèrement peut-être, et s’expliquer comme il suit, en évitant tout ce qui pourrait charger : Virgile

  1. Dans la première édition l’auteur avait ajouté : « laid de visage. »