Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/22

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le grand fleuve. Un poëte spirituel, et qui est un des plus modernes de façon parmi les Anciens, Martial n’a pas su le comprendre. Dans une épigramme connue, où il met Virgile en jeu, il a l’air de supposer que ses grandes entreprises poétiques tinrent uniquement aux libéralités dont il fut l’objet de la part des Mécènes : « Vous vous étonnez, dit Martial à l’un de ses patrons ou de ses riches amis qui voulait de lui des louanges, vous vous étonnez que lorsque le siècle de nos aïeux le cède à notre époque (car ç’a été de tout temps une illusion facile que de croire qu’on vaut mieux que ses devanciers), et quand Rome est plus grande qu’elle ne l’a jamais été sous un prince plus grand (sous Domitien), il n’y ait plus de ces talents merveilleux et divins tels que celui d’un Virgile, et qu’aucune voix épique ne chante avec cette fierté les exploits et les guerres. Qu’il y ait seulement des Mécènes, ô Flaccus ! et vous ne manquerez pas de Virgiles ; vous en trouverez jusque dans vos terres :


Sint Mæcenates, non deerunt, Flacce, Marones,
Virgiliumque tibi vel tua rura dabunt. »


Et Martial, refaisant en deux mots et à ce point de vue toute l’histoire de Virgile, le montre qui pleurait la perte de son champ et de ses troupeaux : Mécène le voit et sourit ; d’une parole il répare tout, et chasse la pauvreté qui allait étendre sur ce beau talent son influence maligne : « Prends ta part de nos richesses, lui dit-il, et sois le plus grand des poëtes !


Accipe divitias, et vatum maximus esto. »


Et comme surcroît de grâce, comme suprême motif d’inspiration, Martial n’oublie pas le cadeau d’un jeune esclave, d’un échanson que Virgile aurait vu en soupant chez Mécène, d’autres disent chez Pollion, et qui lui fut donné pour serviteur. Et c’est à ces largesses, à ces nouvelles faci-