Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/335

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compagnons, et, couché sur le dos, au milieu de son antre, les écraser sur le roc, et inonder de leur sang son affreuse demeure. J’ai vu leurs membres tout sanglants dévorés par le Cyclope, et leurs chairs pantelantes palpiter sous sa dent. Mais le monstre fut puni : Ulysse ne put souffrir tant de barbarie, et ne s’oublia point dans un si grand danger. À peine le Cyclope, gorgé de nourriture et enseveli dans le vin, laisse tomber sa tête appesantie, s’étend, immense, dans son antre, et vomit, durant son sommeil, des lambeaux de chair mêlés de vin et de sang, nous implorons les dieux, et, après nous être distribué les rôles, nous entourons le monstre, et, fondant sur lui de toutes parts, nous enfonçons une poutre aiguë dans l’œil énorme du géant, cet œil unique, caché sous son front menaçant, et semblable au bouclier d’Argos ou au disque du soleil : heureux de venger ainsi les mânes de nos compagnons.

« Mais fuyez, ô malheureux, fuyez ! coupez les câbles qui vous retiennent au rivage ! car tel que se montre l’horrible Polyphème, lorsqu’il enferme et trait ses troupeaux dans son antre effroyable ; tels, et non moins affreux, cent autres Cyclopes habitent ces rivages et errent sur ces hautes montagnes. Trois fois déjà le croissant de la lune s’est rempli de lumière, depuis que je