Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/40

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ses fleurs et moissonnée. Virgile, quoique Romain, et dès lors plus à l’aise, mais venu déjà après tant d’autres, après tant de devanciers que nous ne savons pas, sentit cette même difficulté, et il l’a exprimée avec sollicitude, avec conscience de sa force, au début du IIIe livre des Géorgiques : « Tous les sujets (il parle surtout des sujets grecs) sont déjà usés et rebattus… Il me faut tenter une voie nouvelle par où je puisse à mon tour m’élever de terre, et voler victorieux de bouche en bouche dans les discours des hommes. » Aussi, pour triompher du lieu-commun dans l’épopée, pour en rajeunir le thème poétique, que n’a-t-il pas fait ? Il a su associer tout d’abord l’orgueil romain, le patriotisme avec ses ambitions et ses ferveurs, à cette célébration d’Énée et au récit tant de fois répété des antiques douleurs et calamités troyennes ; il a montré et placé au cœur de sa composition, soit au moyen du bouclier merveilleux d’Énée, soit dans les perspectives pythagoriciennes de son Élysée et les prédictions d’Anchise, toute l’histoire de la grandeur et de l’éternité romaine future. Il a même montré le moment de crise de cette grandeur et les terribles périls encourus, lorsque du haut du bûcher de sa Didon il lui a fait prophétiser Annibal. Tenons-nous ici au plus rapide aperçu, ne regardons qu’aux plus évidents endroits. Quelle beauté à la fois sévère, sublime et touchante ! Anchise (rappelons-nous-le), Anchise, après avoir expliqué à son fils descendu aux Enfers, pourquoi ces âmes en foule destinées à de nouveaux corps se pressent pour boire aux eaux du Léthé, et comment la quantité d’âme et de vie qui circule dans l’univers se déplace, se partage, comment les parcelles qui sont les âmes s’emprisonnent et s’organisent dans les corps, s’y exercent, y souffrent, s’y souillent, s’en délivrent avec gémissement, puis expient avec douleur, se purifient, puis encore oublient, s’empressent de nouveau, et recommencent à vouloir rentrer, les malheureuses ! dans la gêne de la vie (Quæ lucis miseris tam dira cupido ! ), Anchise, après