Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/54

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vieillesse, vivre dans cette hutte ! — Elle est aussi bonne que je le mérite, miss Lucy, dit Alix ; si mon cœur n’a pas été brisé par tout ce que j’ai souffert, et tout ce que j’ai vu les autres souffrir, c’est qu’il a été assez fort pour résister, et le reste de cette vieille machine ne doit pas se regarder comme plus faible. — Vous avez probablement été témoin de bien des changements, dit le lord Keeper ; mais votre expérience devait vous avoir appris à vous y attendre. — Elle m’a appris à m’y soumettre, milord, répondit Alix. — Cependant vous saviez qu’ils ne pouvaient manquer d’arriver dans le cours des années ? dit l’homme d’état. — Oui, sans doute, répondit la vieille aveugle, de même que je savais que ce tronc, sur lequel ou auprès duquel vous êtes assis, autrefois un grand et bel arbre, devait un jour tomber, soit de vieillesse, soit sous l’effort de la cognée ; mais j’espérais que mes yeux ne seraient pas témoins de la chute de l’arbre qui ombrageait ma demeure. — Ne croyez pas, dit le lord Keeper, que je m’intéresse moins à vous, parce que vous regrettez le temps où une autre famille possédait mes domaines. Vous avez sans doute des motifs pour lui être attachée, et je respecte cette preuve de votre reconnaissance. Je donnerai des ordres pour qu’il soit fait quelques réparations à votre chaumière, et j’espère que nous serons amis quand nous nous connaîtrons mieux l’un l’autre. — À mon âge, répondit Alix, on ne fait point de nouvelles connaissances. Je vous remercie de votre générosité ; c’est sans doute dans de bonnes intentions que vous agissez ; mais j’ai tout ce qui m’est nécessaire, et je ne puis accepter rien de plus de Votre Seigneurie. — En ce cas, continua le lord Keeper, qu’il me soit du moins permis de dire que je vous regarde comme une femme de jugement et d’éducation au-dessus de ce que vous paraissez être, et j’espère que vous continuerez à résider sur cette propriété qui fait partie de mon domaine, sans avoir à en payer la rente pendant votre vie. — Je l’espère bien, » répliqua la vieille aveugle sans s’émouvoir ; « je crois que cela a été stipulé dans l’acte de vente de Ravenswood à Votre Seigneurie, quoiqu’une circonstance aussi insignifiante puisse être sortie de votre mémoire. — Je me souviens… je me rappelle…, » dit sir William un peu confus. « Je m’aperçois que vous êtes trop attachée à vos anciens amis pour accepter aucun bienfait de leur successeur. — Bien loin de là, milord, répondit Alix ; je suis reconnaissante des bienfaits que je n’accepte point, et je voudrais pouvoir vous le prouver