Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/53

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Keeper et à miss Ashton ; ils excuseront votre maladresse, si vous les servez proprement et promptement. »

Babie exécuta l’ordre de sa maîtresse avec beaucoup de grâce, allant et venant à peu près comme une écrevisse, ses pieds et ses jambes se dirigeant d’un côté, tandis que, tournant sa tête d’un autre, elle regardait avec étonnement le laird, dont ses vassaux et ses tenanciers entendaient plus souvent parler qu’ils ne le voyaient. Cependant le pain et le miel, placés sur une feuille de plantain, furent offerts et acceptés avec beaucoup de courtoisie. Le lord Keeper, qui s’était assis sur le vieux tronc d’un arbre tombé, paraissait désirer de prolonger l’entretien, mais ne savait comment amener un sujet convenable.

« Il y a long-temps que vous résidez sur cette propriété ? dit-il après un moment de silence. — Il y a près de soixante ans que j’ai connu Ravenswood pour la première fois, » répondit la vieille femme, dont la conversation, quoique parfaitement polie et respectueuse, semblait prudemment se borner à la tâche inévitable et nécessaire de répondre aux questions de sir William.

« Vous n’êtes pas, si j’en juge par votre accent, originaire de ce pays ? continua sir William. — Non, répondit Alix, je suis Anglaise de naissance. — Et cependant, dit lord Keeper, vous paraissez attachée à ce pays-ci, comme si c’était votre patrie. — C’est ici, répliqua la femme aveugle, que j’ai bu la coupe de joie et de douleur que le ciel m’avait destinée ; c’est ici que j’ai vécu plus de vingt ans avec un mari probe et affectionné ; c’est ici que j’ai été mère de six enfants de la plus grande espérance, c’est ici que Dieu m’a privée de tous ces biens ; c’est ici qu’ils sont morts, et c’est là, près de cette chapelle en ruine, qu’ils sont tous enterrés. Je n’ai eu d’autre patrie que la leur tant qu’ils ont vécu ; je n’en aurai pas d’autre, maintenant qu’ils ne sont plus. — Mais votre maison est en bien mauvais état, » dit le lord Keeper en jetant un regard sur la chaumière.

« Oh ! je vous en prie, mon cher papa, » dit Lucy avec empressement, quoique avec timidité, mais profitant de ce que son père venait de dire, « donnez des ordres pour la faire réparer… c’est-à dire si vous le jugez convenable.

« Elle durera autant que moi, ma chère miss Lucy, dit la pauvre aveugle ; je ne voudrais pas que milord s’en occupât le moins du monde. — Mais, répliqua Lucy, vous aviez autrefois une meilleure habitation : vous étiez riche, et maintenant, dans votre