Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/58

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chait sans précaution, ou qu’on les inquiétait par méchanceté. C’est ce dernier motif qui donna lieu à leur destruction dans les trois parcs dont nous avons parlé ; car autrement il est probable qu’on les aurait conservés comme de dignes habitants des forêts d’Écosse, et qui convenaient parfaitement à un domaine baronial. Si je ne me trompe on en trouve quelques-uns au château de Chillingham, dans le Northumberland, appartenant au comte de Tankarville.

Ce fut à l’approche d’un groupe de trois ou quatre de ces animaux que Lucy jugea à propos d’attribuer les signes de frayeur qui s’étaient manifestés sur son visage, mais par une cause différente ; car elle s’était familiarisée avec l’apparition de ces mêmes animaux dans ses fréquentes promenades au milieu de la forêt, et il n’entrait pas essentiellement alors, comme à présent, dans l’éducation d’une jeune demoiselle, d’avoir, sans aucun motif, des palpitations de cœur et des attaques de nerfs. En cette occasion, cependant, elle reconnut bientôt qu’elle avait un sujet réel de terreur.

Lucy avait à peine fait à son père la réponse que nous avons rapportée, et celui-ci se préparait à lui reprocher sa prétendue timidité, qu’un taureau excité, soit par la couleur écarlate du manteau de miss Ashton, soit par un de ces accès de férocité capricieuse auxquels ces animaux sont naturellement sujets, se détacha subitement du groupe qui paissait à l’extrémité d’une clairière bien garnie de gazon, et qui semblait se perdre à travers les branches entrelacées des arbres. L’animal s’approcha de ceux qui s’introduisaient ainsi témérairement dans ses pâturages, d’abord lentement, piétinant le terrain, mugissant de temps en temps, et arrachant la terre avec ses cornes, comme pour s’exciter jusqu’à la rage et à la violence.

Le lord Keeper, qui observait les mouvements de l’animal, prévoyant qu’il allait devenir dangereux, prit le bras de sa fille sous le sien, et se mit à marcher très-vite le long de l’avenue, dans l’espoir d’être bientôt assez loin pour ne pas être aperçu, et de se trouver hors de danger d’en être atteint. C’était le parti le plus imprudent qu’il pût prendre ; car le taureau, encouragé par une apparence de fuite, se mit à les poursuivre avec la plus grande impétuosité. Dans un péril aussi imminent, un homme plus courageux que le lord Keeper aurait pu être intimidé : mais la tendresse paternelle, aussi forte que la mort, le soutint. Il con-