Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/104

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fanatiques reconnus, vous vous faites servir par force ; et parmi les presbytériens modérés et autres personnes suspectes, la crainte fait qu’on vous traite bien : ainsi, par une raison ou une autre, vous apaisez toujours votre soif. — Et vous vous proposez, » dit Henri avec inquiétude, « de vous rendre pour cela à cette tour là-bas ? — Assurément, répondit Bothwell ; comment ferai-je un rapport favorable à mes officiers des bons principes de la digne dame si je ne connais pas le goût de son vin d’Espagne ? car c’est du vin d’Espagne qu’elle nous offrira, j’en réponds ; c’est le consolateur favori des vieilles douairières, de même que le claret est le partage du gentilhomme de campagne. — Alors, au nom du ciel, dit Henri, si vous êtes décidé à y aller, ne citez pas mon nom, et ne me présentez pas ainsi dans une famille que je connais. Laissez-moi m’envelopper pour le moment dans le manteau d’un de vos soldats, et ne parlez de moi que comme d’un prisonnier sous votre garde. — De tout mon cœur, dit Bothwell ; j’ai promis de vous traiter poliment, et je rougirais de manquer à ma parole… Tenez, Andrews, jetez un manteau autour du prisonnier, et ne citez pas son nom, ne dites pas où nous l’avons pris, à moins que vous ne vouliez trotter sur le cheval de bois[1]. »

  1. Monter le cheval de bois était, du temps de Charles et long-temps après, l’un des moyens les plus variés et les plus cruels dont on se servait pour faire exécuter la discipline militaire. Un cheval de cette espèce était placé devant le vieux corps-de-garde de la grande rue d’Édimbourg ; dans les anciens temps, on plaçait quelquefois sur ce cheval, pour expier une légère offense, un vétéran, à chaque pied duquel on attachait une carabine.
    Il existe un singulier ouvrage, intitulé Mémoires du prince William Henri, duc de Gloucester (fils de la reine Anne), depuis sa naissance jusqu’à sa neuvième année. Dans cet ouvrage, Jenkin Lewis, honnête Gallois, attaché à la personne du royal enfant, trouve à propos de rapporter que Son Altesse riait, criait et chantait, disait gig et dy presque comme l’enfant d’un roturier. Il avait aussi un goût précoce pour la discipline et l’appareil militaires, et avait un corps de vingt-deux garçons accoutrés de bonnets de papier et de sabres de bois. Pour maintenir la discipline dans ce jeune corps, on avait établi un cheval de bois dans la chambre de présence, et l’on s’en servait quelquefois pour punir les offenses qui n’étaient pas strictement militaires. Hugues, tailleur du duc, lui ayant fait un habillement qui le serrait trop, fut condamné, par un ordre du jour publié par le jeune prince, à monter sur le cheval de bois. À force de supplications, et grâce à l’entremise de quelques personnes, l’homme à rognures parvint à échapper à la peine qui semblait devoir égaler en inconvénients le voyage équestre de son confrère à Brentfort. Mais un serviteur nommé Weatherly, qui avait osé apporter un jouet au jeune prince (bien qu’il y eût totalement renoncé), fut contraint de monter sur le cheval de bois, sans selle, et le visage tourné vers la queue, tandis que quatre serviteurs de la maison l’arrosaient avec des seringues jusqu’à ce qu’il fût complètement mouillé. « C’était un gaillard badin, dit Lewis, et il ne voulait rien perdre de ce qui tenait d’une plaisanterie, quand il s’agissait de la faire retomber sur les autres ; aussi était-il obligé de se soumettre gaiement à celle qu’on lui infligeait, puisque nous étions libres de lui rendre ce qu’il nous avait prêté, ce que nous ne manquions pas de faire.
    Ce recueil de sottises et d’absurdités, publié par Lewis, nous prouve que ce pauvre enfant, héritier de la monarchie britannique, et qui mourut à l’âge de onze ans, avait en effet beaucoup d’excellentes dispositions. L’ouvrage que nous citons est assez rare. C’est un in-8o publié en 1789 ; l’éditeur était le docteur Philippe Hages, d’Oxford.