Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/128

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antique, et lady Marguerite l’accepta avec une de ces révérences en usage parmi les dames de Holy-Rood-House avant 1642, année qui pour un temps fit passer la mode des cours et celle de la courtoisie. Ils arrivèrent, par des passages sinueux et des escaliers bizarrement construits, sur la plate-forme de la tour, où ils trouvèrent Édith, non dans l’attitude d’une jeune fille qui attend, dans une tremblante curiosité, l’approche d’un beau régiment de dragons, mais pâle, abattue, et indiquant par sa physionomie que le sommeil avait fui de ses yeux pendant la nuit précédente. Le bon vieux vétéran fut affecté en lui voyant cette tristesse, que, dans l’empressement de ses préparatifs, sa grand’mère n’avait pas remarquée.

« Qu’avez-vous, petite fille ? lui dit-il ; en quoi ! on vous prendrait, à votre air, pour la femme d’un officier qui ouvre une lettre après la bataille, et qui craint d’apprendre que son mari se trouve parmi les morts ou les blessés. Mais je devine la cause de votre mélancolie : vous voulez persister à lire nuit et jour ces romans insensés, et vous vous lamentez sur des malheurs qui n’ont jamais existé. Et comment diable pouvez-vous croire qu’Artamène, ou je ne sais qui, s’est battu seul contre tout un bataillon ? Un contre trois c’est déjà fort raisonnable, et peu d’hommes peuvent soutenir avec avantage un tel combat : et encore je ne connais personne qui l’ait jamais cherché, si ce n’est le vieux caporal Raddlebanes. Mais ces maudits livres dénaturent toutes les actions des braves. Je suis sûr que vous prendriez Raddlebanes pour un Pygmée à côté d’Artamène ? Je voudrais que les gens qui ont écrit ces balivernes fussent mis au piquet pour leurs mensonges[1]. »

Lady Marguerite, qui aimait beaucoup elle-même la lecture des romans, prit en main leur défense.

« M. Scudéry, dit-elle, est un militaire, mon frère, et, à ce qu’on m’a dit, un brave militaire, ainsi que le sieur d’Urfé. — La honte n’en est que plus grande pour eux ; ils auraient dû mieux savoir ce qu’ils écrivaient. Quant à moi, je n’ai pas lu un livre depuis vingt ans, si ce n’est ma Bible, les Devoirs de l’homme, et, dernièrement, la Pallas armata de Turner, ou Traité sur l’exercice des piques[2]. Je n’aime pas beaucoup la marche qu’il donne : il veut qu’on place la cavalerie devant un rang de piques, au lieu de la

  1. Allusion aux fades romans qui parurent en France au XVIIe siècle. a. m.
  2. Sir James Turner, soldat de fortune, élevé dans les guerres civiles, lequel exerça sur les non-conformistes une foule de concussions qui poussèrent le peuple à la révolte en 1506. a. m.