Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/34

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garçon de ferme, arriva chargée de bottes énormes, d’un justaucorps de buffle et d’autres accoutrements donnés à son fils pour le service du jour, et les plaçant devant l’intendant, l’assura d’un air grave que, soit que ce fût une colique, soit que ce fût un scrupule de conscience, ce qu’elle ne pouvait prendre sur elle de décider, Cuddie avait éprouvé la nuit dernière une indisposition subite et continue, et qu’il ne se trouvait pas mieux en ce moment : le doigt de Dieu était là, disait-elle, et son fils ne devait point se mêler à de pareilles corvées. On lui parla vainement de châtiments et d’amendes, vainement on la menaça, la bonne mère était obstinée, et Cuddie, chez lequel on fit une visite domiciliaire pour vérifier la nature de sa maladie, ne répondit que par de sourds gémissements. Mause, qui était une ancienne domestique de la famille, jouissait de quelque faveur auprès de lady Marguerite ; cette circonstance la rassurait, car lady Marguerite interviendrait, et son autorité ne pourrait être méconnue. Au milieu de ce contre-temps fâcheux, le génie inventif du sommelier lui suggéra un expédient.

« Il avait vu combattre sous Montrose des gens fort au-dessous de Guse[1] Gibbie ; pourquoi alors ne prendrait-il pas Guse Gibbie ? »

C’était un garçon de peu d’esprit, de très-petite stature, qui exerçait par héritage un emploi subalterne dans la basse-cour, sous les ordres d’une vieille ménagère ; car, à cette époque, dans une famille écossaise il y avait une subrogation de travaux vraiment étonnante. Cet enfant était aux champs. On l’envoya chercher sans plus tarder, on se hâta de l’affubler d’une cotte de mailles ; une énorme épée fut attachée à sa ceinture, ou, pour mieux dire, on attacha Gibbie à une énorme épée, on enfonça ses petites jambes dans de larges grosses bottes, on lui posa sur la tête un casque d’acier d’une telle ampleur qu’il semblait avoir été fait pour l’écraser. Ainsi accoutré, on le percha, d’après sa prière, sur le cheval le plus tranquille de la troupe ; et aidé et soutenu par le vieux Gudyill le sommelier, il passa la revue sans encombre, le shériff n’examinant pas de trop près les hommes d’armes d’une personne si bien pensante que lady Marguerite Bellenden.

Si donc la suite personnelle de cette dame s’élevait à deux laquais seulement, il faut attribuer cette circonstance aux motifs que nous venons de développer. Dans toute autre occasion lady Marguerite eût rougi de paraître ainsi en public ; mais pour la cause de la royauté, elle était prête en tout temps à faire des sacrifices

  1. Guse, mot écossais qui veut dire oie, et gibbie, imbécile. a. m.