Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/130

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crabes au beurre, veau de Florence. Troisième service : un beau faisan, maintenant assez noir, depuis qu’il est tout couvert de suie ; prunes de Damas, une tarte, un flan, et puis quelques petites friandises, des confitures… et voilà tout, » dit-il en remarquant l’impatience de son maître ; « c’est justement tout ce qu’il y avait, sauf des pommes et des poires. »

Miss Ashton était alors assez bien remise pour prêter un peu d’attention à ce qui se passait ; et observant d’un côté les efforts que faisait Ravenswood pour contenir son impatience, et de l’autre l’intrépidité toute particulière avec laquelle Caleb débitait le menu de son repas imaginaire, l’ensemble de cette scène lui parut si bizarre, qu’en dépit de tout ce qu’elle put faire pour s’en empêcher, elle fit un grand éclat de rire. Son exemple fut suivi par son père, quoique avec plus de modération, et enfin par le Maître de Ravenswood lui-même, bien qu’il sentît que c’était rire à ses dépens. Leurs éclats ébranlèrent la voûte du vieux salon ; car telle scène que nous lisons avec peu d’émotion paraît souvent extrêmement risible aux spectateurs. Le rire cessa ; il recommença, cessa de nouveau, et reprit encore. Pendant ce temps-là, Caleb conservait un air de gravité, de dépit et de noble dédain, qui ajoutait encore au ridicule de cette scène et à la gaieté des spectateurs.

À la fin, lorsque les voix et, jusqu’à un certain point, les forces des rieurs furent épuisées, Caleb s’écria avec fort peu de cérémonie : » Ces grands personnages ont le diable au corps ; ils font de si bons déjeuners, que la perte du meilleur dîner que jamais cuisinier ait apprêté provoque leurs éclats de rire aussi bien que pourrait le faire la meilleure des plaisanteries. Si Vos Honneurs avaient l’estomac aussi creux que celui de Caleb Balderstone, vous ne vous égayeriez pas autant sur un sujet aussi grave. »

La manière peut-être peu mesurée avec laquelle Caleb exprima son mécontentement excita de nouveau l’hilarité de la compagnie ; le vieillard la regarda non seulement comme une atteinte à la dignité de la famille et une preuve de mépris directement adressé à l’éloquence avec laquelle il avait fait l’énumération des pertes qu’il avait supposées. « Rire ainsi, dit-il ensuite à Mysie de la description d’un dîner, qui aurait fait renaître l’appétit d’un gourmet déjà rassasié ! »

« Mais, » demanda miss Ashton en tâchant de composer son visage autant que possible, « toutes ces bonnes choses sont-elles