Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/140

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d’avouer, en présence d’un étranger de distinction, et ce qui était encore pire, en présence du domestique de cet étranger, l’impossibilité où l’on était au château de Wolf’s-Crag d’organiser un dîner, ou bien d’aller à Wolf’s-Hope implorer la compassion des redevanciers. C’était une affreuse dégradation ; mais il fallait bien obéir à l’impérieuse nécessité. Ce fut donc en faisant cette réflexion que Caleb entra dans le village.

Désirant se débarrasser le plus tôt possible de son compagnon, il indiqua à M. Lockhard l’auberge de Luckie Smalltrash[1], d’où partait un bruit causé par l’orgie de Bucklaw, de Craigengelt et de leurs compagnons, et qui se faisait entendre fort loin dans la rue. Une lueur rougeâtre, que l’on apercevait à travers la fenêtre, éclairait en ce moment le crépuscule, et jetait une sombre clarté sur un amas de vieilles cuves, de baquets et de barils entassés dans la cour du tonnelier, de l’autre côté de la rue.

« Si vous voulez bien, monsieur Lockhard, dit Caleb, entrer dans l’auberge où vous voyez cette lumière, et où je crois qu’on chante à présent cauld kail in Aberdeen[2], vous pouvez faire votre commission relativement à la venaison, et je ferai la mienne au sujet du lit de Bucklaw, après m’être procuré le reste des provisions. Ce n’est pas que la venaison soit absolument nécessaire, » ajouta-t-il en retenant son collègue par un bouton ; « mais c’est une politesse que l’on fait aux chasseurs, comme vous le savez… Et, à propos, monsieur Lockhard, si l’on vous offre à boire de la bière, ou un verre de vin, ou d’eau-de-vie, vous ferez bien d’accepter ; car je crains fort que le tonnerre n’ait fait aigrir tout cela au château. »

Alors il laissa partir Lockhard. Pour lui, profondément préoccupé, il s’avança lentement dans la rue mal alignée du village, méditant sur le choix de celui de ses habitants contre qui il dirigerait sa première attaque. Il fallait trouver quelqu’un sur lequel le souvenir d’une grandeur passée eût plus de pouvoir que la satisfaction d’une indépendance récente, et qui se sentît flatté de sa demande, en la considérant comme un acte de haute dignité et de clémence. Mais il ne se rappelait aucun habitant qui fût dans une semblable disposition d’esprit. « Notre soupe sera assez froide aussi, » se dit-il à lui-même, d’après le refrain de cauld kail in Aherdeen, qui résonnait à son oreille. Le ministre avait eu sa

  1. Nom dont le sens serait mauvaise petite bière. a. m.
  2. « Il y a de la soupe froide à Aberdeen ; » titre d’une chanson écossaise. a. m.