Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/152

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pait même son bavardage favori, dans le but d’aller plus vite, se contentant d’assurer à M. Lockhard qu’il avait prié la femme du pourvoyeur de faire donner quelques tours de broche aux canards sauvages, de peur que Mysie, qui avait été si fort alarmée par le tonnerre, n’eût pas pu mettre la grille de sa cuisine en bon état. Puis, alléguant la nécessité d’arriver à Wolf’s-Crag aussitôt que possible, il se mit à marcher si vite que son compagnon avait peine à le suivre. Ayant gagné le sommet de la colline qui sépare Wolf’s-Crag du village, il commençait déjà à se croire à l’abri de toute poursuite, lorsqu’il entendit le bruit éloigné du pas d’un cheval et une voix qui criait par intervalles ; « M. Caleb ! M. Balderstone ! M. Caleb Balderstone ! holà ! arrêtez un instant ! »

Caleb n’était pas pressé de répondre à cette invitation. D’abord, il fit semblant de ne pas entendre, et soutint hardiment à ses compagnons que c’était le bruit que faisait le vent ; puis il dit que cela ne valait pas la peine qu’il s’arrêtât ; mais enfin, ayant fait halte, quoique bien malgré lui, lorsque la figure du cavalier se dessinait à travers les ombres du crépuscule, il monta son imagination au point de se montrer fermement résolu à défendre sa proie ; prenant une attitude de dignité, il présenta la pointe de la broche, qui pouvait lui servir de pique et de bouclier, et parut déterminé à mourir plutôt qu’à se la laisser enlever.

Quel fut son étonnement lorsque le maître-ouvrier, s’avançant vers lui et lui adressant respectueusement la parole, lui dit que « son maître était fâché de ne pas s’être trouvé chez lui, et regrettait que M. Balderstone n’assistât point au repas du baptême ; qu’il avait pris la liberté de lui envoyer un petit baril de vin des Canaries et un autre d’eau-de-vie, sachant qu’il y avait des étrangers au château, où l’on n’avait pas eu le temps de faire les préparatifs convenables. »

J’ai entendu quelque part raconter l’histoire d’un homme un peu âgé, que poursuivait un ours qui s’était débarrassé de sa muselière. Dans un accès de désespoir, causé par l’état d’épuisement où l’avait mis la rapidité de sa course, il se retourna sur Bruin[1] et leva sa canne. À l’aspect de cet instrument, l’instinct de la discipline opéra, et l’animal, au lieu de le mettre en pièces, se dressa sur ses pattes de derrière et se mit à danser une sarabande. La surprise agréable du vieillard, qui s’était cru près de succomber au danger dont il se trouvait délivré d’une manière inattendue, ne

  1. Surnom de l’ours en anglais. a. m.