Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/298

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vieille sorcière fut bientôt compensée par les marques de bonté et d’intérêt qu’elle donnait à Lucy, et auxquelles cette infortunée était, depuis quelque temps, peu accoutumée. Les soins qu’elle lui prodigua avec autant d’habileté que de zèle lui acquirent la gratitude, sinon la confiance de la malade ; et sous prétexte de faire diversion à l’ennui de la solitude à laquelle elle était condamnée, Ailsie parvint à captiver son attention par le récit de légendes qui lui étaient familières, et que Lucy prit plaisir à écouter, soit à cause de leur ressemblance avec ses lectures favorites, soit par le penchant naturel de son imagination. Dame Gourlay se borna, dans les commencements, aux récits qui respiraient la douceur ou qui excitaient l’intérêt ; elle parlait

D’esprits follets dansant la nuit sur la pelouse ;
D’amants contraints d’errer, les yeux baignés de pleurs ;
De châteaux élevés, où, d’une main jalouse,
Un sorcier des captifs irritait les douleurs.

Peu à peu ces histoires prirent un caractère plus sombre et plus mystérieux, au point que, lorsqu’elle les racontait à la lueur douteuse de la lampe, sa voix tremblante, ses lèvres pâles et livides, son doigt desséché levé en l’air, et sa tête branlante, auraient épouvanté une imagination plus forte, dans un siècle moins livré à la superstition. La vieille Sicorax[1] s’aperçut de son ascendant, et rétrécit graduellement son cercle magique autour de la victime dévouée à ses artifices. Elle commença à lui conter les légendes relatives à la famille de Ravenswood, dont l’ancienne grandeur et l’immense pouvoir avaient été ornés, par la crédulité de l’époque, de tant d’attributs superstitieux. L’histoire de la fatale fontaine fut accompagnée de tous les détails et augmentée des circonstances les plus propres à faire impression sur l’esprit de son auditeur. La prophétie citée par Caleb, relative à la fiancée morte que le sort destinait au dernier des Ravenswood, reçut aussi un sombre commentaire, et la singulière apparition que le Maître de Ravenswood avait vue dans la forêt, et que ses questions empressées, lorsqu’il fut entré dans la chaumière de la vieille Alix, avaient en partie révélée, devint encore le sujet d’une foule d’exagérations.

Lucy aurait donné peu d’importance à ces histoires, si elles eussent eu rapport à quelque autre famille, ou si sa position eût été moins malheureuse ; mais, dans les circonstances où elle se

  1. Autre personnage de la Tempête, de Shakspeare. C’est la mère de Caliban. a. m.